Maison du Souvenir

Le lieutenant-médecin Omer Mercier et le colonel-médecin Edgar Lombard, médecins dévoués du Stalag X B

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Le lieutenant-médecin Omer Mercier et le colonel-médecin  Edgar Lombard, médecins dévoués du Stalag X B

Article dédicacé à Marie-Agnès Mercier, à son cher mari, à ses enfants

1) Le Dr Mercier, un médecin exemplaire au service de son pays



Le Dr Omer Mercier, lieutenant-médecin, peu avant sa captivité

       Omer Mercier est né le 3 décembre 1912. Il sortit médecin de l’université de Louvain en 1938. Lieutenant-médecin à l’école de pilotage belge de Wevelghem, il fait la campagne des 18 jours et à l’issue de celle-ci se replie avec son unité au Maroc. Son aventure se termina malheureusement à Oudja où il fut fait prisonnier de la commission italienne qui le transféra en France occupée. Il est alors envoyé au stalag II B à Hammerstein.



Le docteur Mercier au Stalag II B où il fut prisonnier en septembre 1940 (source : archives famille Mercier)

       Il commença alors une vie de prisonnier qui dura cinq ans. Il allait alors longtemps partager le sort d’un autre médecin militaire, le colonel-médecin Lombard, son supérieur à l’école d’application du Service de santé, qui le prit comme adjoint. Le Dr Mercier accompagna donc son chef dans les nombreux transferts de ce dernier, transferts dictés par des impératifs d’effectifs de médecins à maintenir dans les camps. Disons ici que les médecins avaient l’opportunité d’être libérés et cela de par la convention de Genève. Le docteur Lombard et le docteur Mercier décidèrent de ne pas user de ce privilège et de rester jusqu’au bout parmi les soldats. A un moment donné cependant, le Dr Mercier dut abandonner son chef pour faire partie d’un commando disciplinaire français chargé de réparer les toitures et vitres après les bombardements alliés sur la ville.



Sur cette photo l’’infirmerie de l’Oflag X D de Fichbeck le 17 octobre 1942. Des malades et deux médecins : Zeckendorf debout au centre et Mercier à l’extrême droite (ausculté par un de ses patients). Source : mémoires de guerre du docteur Mathieu, « Toubib or not toubib » page 63  

       Le docteur Lombard et son jeune confrère Mercier échouèrent finalement au Stalag X B à Sandbostel. Expliquons en quelques mots la différence entre stalag et oflag. Les officiers étaient emprisonnés dans des camps appelés « oflags » tandis que soldats et sous-officiers se trouvaient isolés de leurs officiers dans les « stalags ». Les officiers-médecins faisaient exception à cette répartition. Ils étaient aussi envoyés dans les « stalags » pour y soigner les soldats et sous-officiers qui s’y trouvaient. Dans la plupart des stalags, les médecins étaient donc les seuls officiers. Ils n’étaient pas revêtus d’une autorité hiérarchique sauf sur leurs infirmiers. Dans le stalag, le responsable de l’ordre devant rendre compte à l’autorité allemande était un sous-officier appelé « homme de confiance ». Mais les officiers-médecins, très souvent, possédaient une autorité morale et celle-ci était d’autant plus grande qu’ils étaient expérimentés dans l’art de compatir avec les souffrances et soucis des soldats.

       Il en était ainsi pour le colonel-médecin Lombard au Stalag XB. Ce médecin, très aimé des prisonniers belges, avait le plus haut grade et était sans doute un des Belges les plus âgé du stalag. Il était en tout cas le doyen de la trentaine de médecins prisonniers qui appartenaient aux nombreuses nations représentées dans ce stalag.

       Le Dr Thomas, autre médecin de carrière prisonnier, (« Toubib or not toubib », page 94) nous fait un portrait pittoresque du Dr Lombard :

       Le docteur Lombard avait été médecin de l’hôpital de Beverloo, il était devenu cardiologue à l’hôpital militaire de Bruxelles. Captif, il avait voulu demeurer avec les prisonniers à l’Oflag VII B de Juliusburg. Dans les camps successifs, il communiqua à ses codétenus le goût de la musique classique. Il avait constitué dans ce premier camp un quatuor à cordes avec accompagnement de piano.



Sur cette photo, le docteur Lombard debout, son quatuor à cordes et le pianiste

       Par la suite, il obtint un phonographe et faisait acheter deux disques de chaque œuvre. Le premier était sacrifié ; le colonel expliquant les détails des thèmes et reprises en jouant avec l’aiguille. Une fois que les auditeurs avaient compris la structure de l’œuvre, il la leur faisait entendre avec une aiguille neuve et sans interrompre l’écoute le deuxième exemplaire. Son « adjoint » et compagnon depuis 1940 était le lieutenant-médecin Mercier (celui qui dominait le chahut des carabins à Heverlee[1] en 1937 et qui était un homme chaleureux)

       Deux évènements au Stalag XB marquèrent profondément le jeune docteur Omer Mercier. Le premier fut le décès de son très cher confrère, le docteur Lombard et le deuxième fut l’épidémie de typhus exanthématique qui fit d’innombrables victimes particulièrement dans les blocs des prisonniers politiques russes.

Le décès du colonel-médecin Lombard

       Le docteur Lombard mourut inopinément le 25 janvier 1944 (infarctus). Ce fut son adjoint, le jeune docteur Mercier qui, en toute logique, fut chargé de l’organisation des funérailles. C’est aussi lui qui prononça le dernier des discours prononcés en l’honneur du regretté docteur Lombard et qui se chargea de la rédaction d’un opuscule complet en mémoire de son chef estimé. Ce livret imprimé fut alors distribué dans le stalag. Ce travail émouvant du Dr Mercier vous sera reproduit dans son entièreté dans la seconde partie de cet article. Néanmoins, nous vous convions à lire de suite un extrait de ce livret, celui qui concerne le discours d’adieu que fit le docteur Mercier à son cher confrère car, de par ce texte, nous percevons le caractère sensible et, empathique du Dr Mercier ainsi que ses nobles convictions et croyances.



Sur cette photo datée du 6 mai 1943, on distingue très bien le Dr Mercier et, à côté de lui, à gauche sur la photo, le Dr Lombard. Les autres militaires sont vraisemblablement les infirmiers


Le Dr Mercier à gauche sur la photo

Discours du Dr Mercier avant la mise en terre du Dr Lombard :

       Il a plus au Seigneur de rappeler à lui l’âme de son fidèle serviteur, notre cher regretté, le lieutenant-Colonel Lombard. Que sa sainte volonté soit faite. La Médecine subit aujourd'hui une grande perte et dans cet irréparable malheur, je confonds mes regrets avec les regrets de ceux auxquels sont restés chers l’honneur de la Médecine et la gloire du Pays. Souffrez cependant qu’au témoignage de notre commune douleur, j'ajoute l'expression d'une douleur plus intime et plus tendre. C'est un malheur domestique qui vient de frapper la médecine, c’est un deuil de famille qui vient l'atteindre. Le colonel Lombard lui appartenait depuis plus de trente ans. Jamais aucun de nous n'a connu un confrère meilleur ni plus sûr, plus modeste, plus simple, qui parût plus sincèrement détaché de sa renommée et dont le souvenir doive demeurer plu vivant au milieu de nous. Mais ceux qui l'ont aimé et apprécié ne sont pas tous autour de cette tombe. Loin d'ici, bien des esprits et bien de cœurs suivent avec nous ses funérailles. Ce sont les amis inconnus que pendant si longtemps, ses publications ont émus et charmés ; ce sont les malades dont, tant de fois, il a distrait les douleurs, dont il a si souvent allégé les ennuis, ceux qui lui doivent une heure d'illusions, une lueur d'espoir, quelques instants de bonne humeur et comme une trêve bienvenue au milieu des dures réalités de cette vie de prisonniers. Hélas, qui sait, si bien souvent, notre Colonel n'a pas cherché lui-même dans ces actes de charité et de bonté paternelle la distraction de ses chagrins et l'apaisement de ses douleurs. Il laisse à son foyer une compagne profondément dévouée, telle qu'en pouvait désirer un homme, de travail et d'études, une épouse qui le chérissait et qui profitait de sa vie intérieure, comme de ses connaissances si étendues. Il laisse également une charmante jeune fille qu'il adorait. « Sa p'tite » comme il appelait, son seul enfant, son orgueil et sa joie ; il l’a vue grandir avec amour, passionnée comme lui, de voyages et de musique et qui aujourd'hui a déjà conquit l'estime et la considération de beaucoup de Belges.

       Hélas aujourd'hui un destin trop cruel l’arrache à notre affection, il était pour nous, Belges, un père autant qu’un chef ; dans ces discours prononcés dans ce même cimetière, il savait honorer la mémoire des morts. Il nous indiquait très simplement la voie de l’honneur et de la dignité. Il détestait les lâches, les envieux, les actes intéressés, il avait foi en l'avenir et soutenait par quelques paroles les découragés ou ceux qui flanchaient… Il était notre orgueil et notre gaieté ; il savait dérider les plus sévères et entretenir, chez nous l'espérance d'une Belgique forte et unie : notre devise nationale, n'est-elle pas humaine et féconde "L'union fait la Force". Il considérait comme un crime contre l'esprit, cette essence supérieure de l'âme, d'ignorer la confiance, l'amour l'espérance. Rappelons les paroles qu'il a prononcées le 21 juillet :

       Lorsque Brahma dans sa clémence, en écrasant une fleur fit la terre et le ciel, il y laissa le miel .Et ce fut l‘Espérance.

       Le Colonel s’est éteint calmement et pieusement et dans un recueillement suprême, le brillant esprit d'un maître de la cardiologie a laissé à l’âme du chrétien, la minute qui le séparait encore de Dieu.

       Mon Colonel, nous suivons la voie que vous avez tracée. Reposez en paix... Au nom, de tous mes camarades Belges qui ont goûté le charme de votre conversation, le réconfort de vos paroles et qui garderont fidèlement le souvenir d’un grand Belge de la petite Belgique, je vous dis ADIEU.

L’épidémie de typhus exanthématique à la fin de la guerre au stalag X B fut sans doute le deuxième événement qui marqua profondément le jeune médecin Omer Mercier.

       A la fin de la guerre, en avril 45, le docteur Mercier dut affronter la plus grande des misères. Une épidémie de typhus exanthématique apparut dans le camp et fit des ravages dans les blocs des prisonniers les plus maltraités, ceux qui abritaient les « politiques russes ». Les Allemands ne mettaient plus les pieds dans ces blocs de peur d’être eux-mêmes contaminés et laissaient les Russes malades mourir dans un marasme épouvantable. Les militaires français et belges décidèrent alors d’agir et une corvée franco-belge fut alors organisée pour nettoyer les baraques et donner des vivres à ces malheureux presque tous malades. Le Dr Mercier fit partie de cette corvée et en garda un souvenir atroce. Il fallait, raconta-t-il plus tard au journaliste du « Rappel » venu l’interviewer peu après son retour en Belgique, enlever les cadavres qui traînaient partout, sur les couchettes, dans les couloirs et contre les portes. Cela fait, il fallait s’occuper des survivants qui furent étendus en plein soleil pendant que l’on nettoyait les blocs. Un tombereau entier fut ainsi évacué avec la paille pourrie et les détritus de toutes espèces. Les nettoyages purent se faire mais il fallait qu’un cordon de prisonniers ceinture les bâtiments pour empêcher les malades de rejoindre leurs pauvres pénates. Ces malheureux souffraient de diarrhée depuis six mois et n’avaient plus que des os sous la peau. La tuberculose et le typhus exanthématique les achevaient. Il y avait bien sûr en plus, l’infestation par les poux, les puces, les punaises et la gale. Ces malheureux n’avaient aucun médicament et juste quelques bandes de papier pour panser leurs plaies. Chaque jour il fallait évacuer deux à trois cents cadavres. Les bons samaritains se dévouèrent alors sans compter pour évacuer les typhiques survivants dans un pavillon social et distribuer un peu de nourriture prélevés sur les colis que les militaires recevaient de leurs familles. Pendant 10 jours, le Dr Mercier et ses confrères se dévouèrent sans relâche jusqu’au moment où la gestion du camp fut reprise par les SS. Ces derniers empêchèrent alors les Belges et Français de continuer leur action humanitaire en faveur des prisonniers politiques russes. Le Dr Mercier entrepris alors de plaider la cause des malheureux Russes mais un capitaine SS lui répondit que ces prisonniers n’étaient pas des gens…  « Dasistnichtmenschen » ! Même le médecin allemand présent lors de cette interpellation manifesta de l’indignation en entendant la réponse de cet officier. Quoi qu’il en soit, il fallut obtempérer aux ordres, ce qui n’empêcha pas les Belges de faire passer, en cachette, des vivres aux malheureux Russes. Mais cet apport se révéla si infime par rapport aux besoins que des cas de cannibalisme survinrent. Malgré que le bruit des canons alliés se rapprochât, le calvaire des « N.N (nachtundnebel)  » ne connut pas de répit. Quatre jours avant l’arrivée des Anglais, les SS commencèrent à mitrailler le camp des Russes en y semant la mort. Ce massacre dura toute la nuit et vers 4 heures du matin, les SS emmenèrent 2.500 « N.N » vers Hambourg. Le lendemain 500 seulement revenaient mais 2.0000 avaient disparus ! Les Anglais arrivèrent enfin le 29 avril en libérateurs à 5 heures du soir ! Il fallut les allers et retours de cinquante ambulances pour évacuer les malades et les habitants des localités voisines furent réquisitionnés pour nettoyer le camp. On retrouva des cadavres sous le plancher des blocs. Il s’agissait en effet, pour les Russes, de continuer à recevoir leurs maigres pitances en ne signalant pas la diminution de leur effectif ! Les Belges prisonniers ne furent pas épargner par la maladie et, d’après le docteur Mercier, perdirent 80 hommes sur les 237. Les médecins belges et français ne sortirent pas indemnes de leur lutte avec le typhus. Le Dr Mercier en fut malade et dut être hospitalisé plusieurs semaines après sa libération avant de pouvoir rejoindre sa famille. On imagine très bien le calvaire des médecins et infirmiers qui soignaient les malades du typhus en relisant l’exposé au sujet de cette maladie que fit, des années plus tard, en 1964, le Dr Mercier qui participait à la « deuxième Conférence Internationale Médicale de la Confédération Internationale des Anciens Prisonniers de Guerre » (Ce compte-rendu figure dans le volume 3 « Pathologie de la captivité » publié en 1966 par le Verband der Heimkeher, kriegsgevangenenundvermisstenangehoringenDeutsclandse.V (VdH) Bad Godesberg ).

       Le Dr Mercier insista dans son exposé très complet sur le typhus sur plusieurs points que je résume très brièvement ici. Le typhus exanthématique est transmis par le pou infecté du parasite Rickett sia Prowazeki. Le pou se contamine en piquant un homme infecté. Passant sur des sujets sains, il dépose sur la peau de ceux-ci ses déjections qui contiennent le microbe en grande quantité. Le grattage des mains sur la peau fait alors pénétrer le microbe dans les capillaires sanguins. Une conséquence importante en découle : quand un malade est épouillé et lavé, il ne présente plus de risque de contaminer son entourage.

       La maladie s’installe après une période d’incubation d’une dizaine de jours en moyenne puis vient la période d’invasion accompagne de température et de la triade classique comprenant conjonctivite, congestion de la face, langue saburrale et sèche. Au 5ème jour de la fièvre, apparaît la période d’éruption avec éruption de macules rouges sur la peau et tuphos. Ce dernier symptôme est le plus impressionnant dans la maladie. Il consiste dans le fait que le malade devient indifférent à tout ce qui se passe autour de lui. Il devient incapable de converser et délire. Ce délire, dit le Dr Mercier, est accompagné de pleurs, de larmes, de peur de mourir, d’appel aux parents… Parfois après une période de sidération, survient une période d’excitation où le patient connait des hallucinations et parle de ses occupations professionnelles, de souvenirs récents. Cet état peut s’accompagner de gestes brusques ; le patient veut se lever, tout casser, se jeter par la fenêtre, se suicider. Vers le 14ème jour, l’évolution se précipite. Le malade retrouve une température normale ou meurt en hyperthermie dans 20 à 50% des cas. Pour ceux qui guérissent, une longue convalescence de trois mois commence.

       A la lecture de l’exposé détaillé du Dr Mercier, on imagine sans peine ce qu’ont dû endurer les soignants, face aux pleurs, aux larmes, aux délires de centaines de pauvres malades. Il est probable que ce qu’ils entendirent les marqua durablement après la guerre et les empêchèrent pendant longtemps de connaître des nuits paisibles. A noter que traitement du typhus exanthématique est devenu, aujourd’hui, très simple à guérir, cela grâce aux antibiotiques (chloramphénicol ou des tétracyclines) mais, en 1945, à supposer que les pharmacies des camps de prisonniers fussent bien fournis (ce qui, évidemment, n’était pas le cas), on ne disposait pas encore de ces remèdes, tous deux ne furent découverts qu’à fin des années 40.

Retour du Dr Mercier en Belgique et poursuite d’une brillante carrière militaire

       Au mois de juin 1945, rétabli du typhus, Omer Mercier rejoignit son foyer à Anderlues. Attention très touchante : toute la maison avait été fleurie par une vague émouvante de sympathie. Omer retrouvait son épouse et une petite fille de cinq ans qui n’avait encore jamais vu son papa. Quelques semaines après son retour, le docteur Mercier est désigné pour l’hôpital militaire de Charleroi puis, peu après, prend le commandement du service de santé de la garnison de Charleroi. En 1954, nommé major, il prend la direction de la section francophone du centre de recrutement et de sélection à Bruxelles. En 1962, il assure le commandement médical du service de santé au Rwanda et Burundi. A son retour, il prit le commandement du service médical de la première Division de l’armée belge en Allemagne.

       En 1965, le Dr Mercier revint en Belgique en qualité de chef du service de santé de la circonscription militaire Hainaut-Brabant.





Le Dr Mercier lors de la visite du Roi durant les manœuvres de la 1ère Division en FBA (source : archives famille Mercier)

       Il se dévoua alors pour une clientèle privée à Charleroi, Marcinelle et Anderlues. Comment ne pas rappeler ici, la gentillesse qu’il prodigua aux familles endeuillées par la terrible catastrophe du « Bois du Casier » à Marcinelle.



Très belle photo du colonel-médecin Mercier reçu en audience par le pape Paul VI lors des fêtes de Pâques en 1965 (source archives famille Mercier)

       Le docteur Mercier comme beaucoup d’autres prisonniers, souffrit pendant de nombreuses années de sa captivité. Il mourut le 31 juillet 1967, âgé seulement de 55 ans. Ses funérailles furent solennelles. Un représentant de la Fédération Nationales des Prisonniers Politiques, monsieur Kimmes prit la parole et rappela l’estime que les prisonniers de guerre avaient pour lui pendant sa captivité mais aussi après la libération, particulièrement lorsqu’il accepta, en surplus de ses responsabilités à l’armée, le poste de médecin-chef de la maison de cure de Saint-Ode réservé aux anciens soldats et prisonniers de guerre.

 



Article du journal (source archives famille Mercier)

Solennelles et émouvantes funérailles du colonel-médecin Omer Mercier à Marcinelle / Ultime et fervent hommage.

       Vendredi matin se sont déroulées à Marcinelle, les funérailles à la fois solennelles et émouvantes du colonel-médecin Mercier, né à Genk 13 décembre 1912 et décédé le 31 juillet 1967 après une longue et douloureuse maladie. De très nombreuses personnalités militaires et civiles avaient tenu à rendre un ultime hommage à celui qui fut un grand patriote, un grand militaire et un grand médecin. Trois détachements du 2ème chasseurs avec drapeau, aux ordres du major Pelousse rendaient les hommages devant la maison mortuaire, 24 Troisième avenue et les drapeaux de nombreuses associations patriotiques formaient une haie d’honneur. La musique de la 16ème Division d’Infanterie à Anvers s’était déplacée pour la circonstance et accompagna le long cortège jusqu’à l’église de Marcinelle-Haies où Mgr. Cammaerts, aumônier en chef du culte catholique belge célébra la messe de funérailles.

       A 9h30, le sarcophage contenant le corps du colonel-médecin Mercier fut placé sur un catafalque devant la villa où il avait vécu ; sur la bière, recouverte du drapeau belge, étaient posés le sabre et le képi du défunt tandis qu’un sous-officier portait un coussin de velours sombre où étaient épinglées les nombreuses distinctions honorifiques dont était titulaire celui auquel un hommage chaleureux et poignant allait être rendu. Après que le corps eût été salué par la sonnerie « Aux Champs » le général-médecin Van Houte prononça la première allocution et s’attacha à tracer du colonel-médecin Mercier, un portrait saisissant et fidèle. L’orateur se plut à souligner la résignation sublime avec laquelle le disparu supporta sa longue maladie et dit quels regrets, il laissera auprès de ceux qui ont connu cet officier d’élite, doublé d’un excellent médecin. (….) Se tournant ensuite vers la famille du défunt, l’orateur exprime ses condoléances les plus sincères et les plus émues.

       Après un bref et émouvant adieu adressé par un représentant de la Fédération Nationale des Prisonniers Politiques, M. Kimmes prit la parole au nom du « Fonds des Barbelés ». Après avoir excusé Mr Natchez, retenu à l’étranger par un congrès, M. Kimmes magnifia la mémoire du colonel Mercier qui fut en tous points digne de l’admiration et de l’estime des prisonniers de guerre, se dévoua sans compter pendant sa captivité pour ses frères de souffrance, et après la libération, accepta, le poste de médecin-chef à Saint-Ode. (…) Et afin de concrétiser toute la déférente admiration que voue au disparu le « Fonds des Barbelés », M. Kimmes remit, à titre posthume, la médaille d’Or avec Palmes.

Un cortège solennel

       Après les discours, se forma dans un ordre impeccable, le long cortège qui allait conduire le colonel Mercier à l’Eglise des Haies. Guidée par la police locale, la musique de la 16ème Division d’Infanterie prit la tête du long défilé. Venaient ensuite les nombreuses délégations des associations patriotiques et leurs drapeaux. Les détachements du 2ème Chasseurs sous les ordres du commandant Mormacq et des capitaines Colin et Fontaine entouraient le drapeau porté par le lieutenant Bastin et précédant un corbillard débordant de fleurs superbes. Venaient ensuite des militaires portant d’immenses gerbes, coussins et couronnes ainsi que les membres du clergé.

       L’adjudant Chapelle porteur des décorations du défunt marchait devant le char funèbre dont les cordons étaient tenus par les colonels-médecins Mathieu et Neys, le colonel-pharmacien Pochet et le colonel B.E.M. Galperino.

       Les personnalités

       Une très nombreuse assistance comprenant des personnalités civiles et militaires des trois armes avait tenu à accompagner jusqu’à l’église le défunt et sa famille. Nous avons notamment reconnu le général Vivario, commandant des F.D.I. et aide de camp du Roi ; les généraux Champion, adjoint au chef d’état-major et Everart ; les généraux-médecins Van Houte et Guérisse ; le général en retraite Devaux, les colonels en retraite Deprez, Parent, Vernez, et Bastin. Le major Derille, commandant en second des Chasseurs, représentait la Place de Charleroi en remplacement du colonel Burton, empêché.

       Inhumation à Anderlues

       Après la messe des funérailles, les absoutes furent chantées en l’église d’Anderlues où eut lieu l’inhumation. Le colonel-médecin Mercier a eu les funérailles à la fois solennelles et émouvantes que méritait cet officier d’élite, doublé d’un praticien avisé et d’un homme de cœur. A sa veuve, à sa famille nous présentons nos condoléances émues.

                                                                                                              M.-A. Lixon

2) Le Dr Edgard Lombard, sa vie, sa mort, ses funérailles racontées par le Dr Mercier

       Un  fascicule original de neuf pages en mémoire du docteur Lombard fut imprimé, par je ne sais quelle procédure au Stalalg XB ! Il fut rédigé par le Dr Mercier qui éprouvait sans aucun doute un immense respect et une grande vénération pour son aîné. Il reprit dans ce fascicule le détail des trois jours de deuil qui marquèrent les Belges du stalag à la suite de la mort du bien aimé docteur Lombard. Ce précieux document scanné est disponible sur le très beau site bibiotheca-andana.



Une feuille du fascicule

       Nous reprenons cependant ci-dessous l’entièreté du texte de ce document parce qu’il constitue aussi une véritable biographie du Dr Lombard et :

Le colonel n’est plus…

Regrets éternels

       Le colonel Edgard Lombard, né à Forchies-la-Marche le 8 mars 1891, est mort en Janvier dernier ; emporté par une crise cardiaque qui termina sans lui infliger la tristesse des souffrances prolongées, une vie qui resta, jusqu’à ses derniers Jours, pleine d'une inlassable activité aussi bien physique qu'intellectuelle. Il exerça la médecine au camp de Beverloo et à l'hôpital militaire de Bruxelles. Sa carrière de médecin militaire restera un bel exemple de soumission absolue aux principes qui font l'honneur de notre profession et au sentiment du devoir qui impose à tout praticien de se tenir au courant des acquisitions constantes de la science médicale pour les appliquer au traitement des malades qui se confient à lui. Jouissant d’une excellente santé et possédant les aptitudes de la saine raison du parfait bon sens et de la constante ardeur au travail, il put tirer un grand profit de sa formation intellectuelle et morale, et, au cours même pratique de sa profession, il trouva la possibilité de pousser ses connaissances en cardiologie. Pour ceux qui purent l'approcher de près, il fut de ceux qui, en dehors de la médecine, éprouvent le besoin de dépenser une curiosité d'esprit qui n'est pas totalement absorbée par l'art de guérir : il s'orienta vers les études musicologiques, les questions philosophiques, la littérature et l'histoire. La perte que fait la médecine est d'autant plus grande puisque nous pouvions compter encore pendant des années sur son érudition et son expérience et son autorité que lui assurait sa haute valeur scientifique et morale. Aux jours tragiques de Mai 1940, le colonel Lombard était à son poste installé à Looz. Les malheurs du pays et la captivité n'assombrirent pas les dernières années de sa vie ; mais il trouvait dans l'amour de son art, dans le goût du travail et aussi dans les joies que la culture intellectuelle apporte à un esprit comme des raisons de consolation et de confiance. Après le médecin et l'homme cultivé, il faudrait parler de sa sensibilité exquise, et de sa grande bonté que masquait parfois une attitude de courtoisie parfaite, un peu froide, mais que connaissaient bien ses amis, ses élèves-médecins de I'E.A.S.S. et aussi ses malades ; il faudrait parler également de la droiture intransigeante qui le caractérisait. Plus les jours passeront et plus nous sentirons la place éminente qu'il occupait parmi nous et le vide que laisse sa disparition. En témoignage de gratitude et d'affectueux respect pour notre cher Colonel, qu’il me soit permis de dédier à Madame et à Mademoiselle Lombard ces quelques lignes qui ne retracent pourtant que bien imparfaitement la figure du grand Belge auquel nous avons essayé de rendre l'affection qu'il n'a cessé de nous témoigner. Puissent t’elles y trouver quelque consolation à leur immense douleur, l’expression de notre respectueuse sympathie et l’assurance que le souvenir du Colonel n'est pas près de s'éteindre chez ceux qui comme moi ont eu le privilège d’être un de ses élèves. Dieu, qui dans son infinie bonté veut, le salut de tous les hommes, nous a laissé à cet effet son évangile et également il a permis pour notre édification que des hommes suivant les conseils du Christ notre Seigneur soient pour nous l'application vivante et la réalisation au, cours des sièc1es de, cet évangile, afin que nous soyons entraînés par leurs exemples dans la Voie du bien : le lieutenant-colonel Lombard a été un de ces bommes. Il n'est pas nécessaire de connaître sa vie entière, bien qu'il ait toujours suivi la même voie, pour comprendre que les idées, les sentiments et les actes de cet homme remarquable étaient profondément ceux d'un chrétien, il suffit de l’avoir vu à l'œuvre quelques heure pour se rendre compte que cette droiture qu'il témoignait en tout était chez lui sa règle de vie, la réalisation de sa foi. Il ne tergiversait pas avec l‘erreur et le mensonge, il n'acceptait aucune compromission, il aimait la vérité, il préférait se faire tort à lui-même plutôt qu'aux autres. Son humilité, sa simplicité, mettaient à l’aise les plus timides et il a été donné à ses infirmiers de constater après sa mort combien ses vertus étaient chez lui sincères, Le bien, dit-on, ne fait pas de bruit, il n'en faisait pas, il ne cherchait pas à étaler ses connaissances religieuses qui lui ont permis de saisir le fond même du christianisme. La vertu en lui, comme chez les saints, rayonnait d'elle-même, il semait partout la bonne odeur du Christ. Le meilleur éloge qu’on pourrait faire de lui serait de relire ses propres écrits.

       Chacun se rappelle avec quelle ardeur devant les tombes de nos camarades morts à l'hôpital du Stalag X B, le 31 Octobre dernier, il nous prêchait la Paternité de Dieu sur tous les hommes, les bons comme les méchants : paternité qu'il avait bien comprise et honorée et qui était une consolation dans sa vie : chacun de nous était ensuite invité à accepter cette conséquence de la Paternité divine qu'est la Fraternité des hommes. Il savait ce point plus difficile surtout en ces temps où il travaillait en lui - même et autour de lui pour la voir se réaliser dans la justice et la vérité. Ces idées lui étaient spécialement chères ces derniers temps de sa vie, un peu comme autrefois St-Jean, déjà centenaire répétait sans cesse à ses disciples : « Mes fils bien aimés, aimez-vous les uns les autres, c’est le grand commandement ». Dieu nous a permis de voir qu'il approuvait son serviteur, car il est mort comme il le méritait. En pleine lucidité d'esprit, en pleine conscience, il a vu venir ses derniers instants, il a suivi son agonie comme s'il la dirigeait lui-même. Il a réglé tous les détails de ses désirs, suppliant Dieu de lui accorder le pardon de ses fautes ; offrant lui-même sa vie, pleine de justice et Son dernier soupir au Christ qu'il recevait pieusement la Sainte Communion, et en suivant les rites des Onctions avec l’huile Sainte. Il nous est agréable, d'offrir à Madame la Colonelle et à Mademoiselle sa fille cette consolation qu’il prodiguait aux autres : nous devons prier non pas pour nos morts, mais nous devons prier nos morts, car Dieu a voulu qu'ils soient les intercesseurs auprès de lui. A l'avoir vu reposer tranquille, paisible, sans aucune violence sur le visage, on comprend mieux combien cette phrase lui convient : son état témoignait qu'il était déjà dans l’'éternelle béatitude. Qu’avec nos sincères condoléances, ceux qui le pleurent soient sensibles aux remerciements, aux félicitations et à l’admiration que nous lui portons : sa vie a été une grâce pour tous. « Erat virjustus », « In dominum Dominiibimus » (C’était un homme juste, Il est allé dans la maison du Seigneur).

       Il est 8 heures 45, le Colonel vient d’expirer. Impossible de définir la tristesse qui envahit brusquement les Belges. La nouvelle du décès se répand comme une trainée de poudre dans le lazaret et déjà au camp, les figures étonnées se rencontrent dans une même pensée. La toilette funèbre est terminée. Le colonel est là sur son lit de prisonnier, revêtu de sa grande tenue militaire, portant les nombreuses décorations que ses mérites lui ont values. Un drap blanc laisse le buste à découvert tandis que ses mains se croisent en serrant pour toujours le chapelet noir que nous lui avions laissé. Son visage se déride, donnant une impression de calme, semble indifférent à tout ce qui l’entoure tandis que nos cœurs bouleversés battent à faire éclater nos poitrines... Nous ne pouvons-nous faire à l'idée que notre chef nous abandonne. Derrière la tête du colonel un drapeau aux couleurs nationales est tendu de chaque côté du lit, un cierge se consume lentement. Au pied du lit un soldat belge monte la garde, les traits affligés expriment un désir de pleurer, mais un soldat ne pleure pas. Diverses délégations s'empressent d'arriver pour rendre un dernier hommage à notre chef regretté : ce sont les Français, les Yougoslaves, les Polonais. L'autorité allemande vient seulement rendre un dernier salut au grand défunt. Le désir de photographier le Colonel sur son lit de mort est immédiatement accordé et l'autorité allemande s'empresse de nous satisfaire.



Le Dr sur son lit de mort

       A 16 heures, le corps du défunt doit être conduit à la chapelle du Lazaret. La troupe belge rend les honneurs, un garde-à-vous impeccable annonce l'arrivée du corps couvert du grand drapeau rouge, jaune, noir ; la troupe salue le Colonel s'en va lentement, porté par ses deux infirmiers : les sous-officiers Herpin et Strivay.

       Le cercueil sera maintenant exposé durant trois jours, couvert d'un grand, drap blanc et du drapeau belge, il disparaît sous les fleurs des huit couronnes qui le bordent. Mercredi 26 : jour de profonde tristesse. Une garde d'honneur composée de deux sous-officiers belges est relevée, toute les deux heures à la chapelle mortuaire ; à 11 heures 30 la garde d'honneur est composée du Colonel-médecin yougoslave Kamenkovic, du médecin-capitaine Français Huc, du médecin-capitaine Polonais Dobrovolski et du lieutenant-médecin Belge Mercier. Une photo permettra de perpétuer ce souvenir.

       La cérémonie aura lieu à 14 heures. A 13 heures 10, des groupes compactes de chaque nationalité se forment au Lazaret, d'autres arrivent du Camp en même temps que Monsieur l’Officier-Conseil Français. A 14 heures : levée du corps après un pieux "De Profundis" chanté par les trois aumôniers Français. Le cortège se forme : viennent d'abord les huit couronnes portées par des représentants de chaque nation : Belges, Français, Yougoslaves, Polonais ; Voici le clergé, puis le cercueil porté par six officiers médecins marchant lentement de chaque côté de la civière ; ensuite trois représentants de la famille : le lieutenant-médecin Mercier, les deux sous-lieutenants Halleux et Hance, enfin l'officier-conseil et quelques délégations.





Le cortège funèbre

       A l'entrée du Lazaret, on aperçoit la double rangée imposante des médecins du Lazaret et du camp ; lorsque le cercueil passe un garde à vous et un salut impeccable reçoivent le Colonel. Plus loin, la troupe rend les honneurs devant l’entrée de la chapelle des prisonniers. Une messe de requiem est chantée avec toute la solennité qu’exigent les circonstances. Le corps du défunt est gardé par six officiers médecins en grande tenue et au garde à vous. La messe s’achève lentement, puis les trois aumôniers descendent de l’autel ; le service divin est interrompu par le discours du colonel-médecin Kamenkovic :

Messieurs les officiers, chers camarades prisonniers

       « Le profond émoi provoqué par l'annonce inattendue du décès du colonel Lombard n'a pas encore été dissipé complètement par la grandeur du deuil qui nous accable. Fréquemment déjà nous fûmes Confrontés avec la mort dans cet hôpital, chaque fois notre sentiment de camaraderie fût profondément touché ; mais cette fois, une douleur poignante nous étreint. Un homme va descendre dans la tombe comme on n’en rencontre pas tous les jours. Grande est l'affliction du petit groupe des Belges de notre hôpital, privés de leur cher colonel. Nous tous qui sommes ici, leur exprimons notre plus vive sympathie et nos plus sincères condoléances. Car le colonel Lombard était un homme d’élite et nous avons tous appris à l'estimer ; il nous était devenu cher et il nous est fort douloureux de l'avoir perdu. Notre doyen du corps médical, le Colonel Lombard, était la personnification du médecin dont la plus noble qualité était la bonté d'âme. Son attachement à la fois tendre, bienveillant et paternel pour les malades faisait de lui un médecin prédestiné par le sort. Mainte larme dans les yeux de ses patients confirmera mon affirmation. J'ai rarement rencontré autant de bonté chez un médecin. Ainsi le colonel Lombard fut un authentique et noble représentant de notre profession.

       Sa deuxième qualité essentielle était son savoir : intellectuel de premier ordre, le colonel Lombard acquit des connaissances scientifiques extrêmement vastes. Grâce à une mémoire peu commune, il sut étendre le cercle de ses connaissances en approfondissant sans cesse une curiosité toujours en éveil. Il n’est donc pas étonnant que son savoir professionnel lui est valu une superbe carrière et un unanime respect. Un troisième trait dominant était son zèle. Son esprit vif était toujours actuel, toujours épris de recherche et de perfection. Ce zèle précieux aplanit pour lui la voie la plus élevée. Sa culture générale et ses dispositions artistiques le complétaient pour en faire une personnalité de haute valeur. Se capacité et son prestige scientifique furent honorés par les plus hautes autorités du pays. Il est profondément regrettable que la mort l’ai ravi si tôt car on peut tenir pour certain qu’il eût gravi les derniers échelons de la hiérarchie et rendu à la Patrie bienaimée de nombreux et éminent services. Le colonel Lombard était un homme particulièrement bien doué. La curiosité et son intelligence profonde lui permirent d’acquérir et de coordonner ses connaissances. Il était très versé en histoire et dans les questions philosophiques, s’intéressant particulièrement à la philosophie mystique. Son sens artistique trouva un vaste domaine dans la littérature dont il avait une connaissance au-dessus de la moyenne. Mais ce qui le passionnait, c'étaient les études musicales. Il est admirable que le colonel Lombard, spécialiste des sciences naturelles, ait fait dans les oflags un cycle de conférences musicologiques.

       Cette intelligence, véritablement encyclopédique faisait de lui un être riche et harmonieux, empreint de cette modestie foncière qui est la marque de la grandeur. II avait un caractère ouvert et inflexible, un naturel équilibré, une philosophie optimiste, en dépit d'une longue captivité. Plein de serviabilité pour ses camarades de captivité, il remplit à la perfection sa mission de médecin. Il supporta son sort avec la dignité d'un soldat. Ses dernières heures, son impassibilité devant la mort témoignent d’une grandeur d’âme ayant ses racines dans une profonde religiosité. Je ne poursuivrai pas pour ne pas accroître votre douleur.

       Le colonel Lombard se dresse sur un piédestal élevé. Ses précieuses qualités rayonnent, ses mérites recueillirent des succès appréciés. Il laisse derrière lui un profond sillon. Sa vie fut riche en bienfaits. Là réside une grande consolation. Mais ce qui rend la séparation douloureuse, ce pour quoi, il n’est pas de consolation, c’est qu’un bon médecin, un cher collègue, un camarade nous quitte avec tout le charme de sa personnalité attachante et aimable. Colonel Lombard, reposez en paix en cette terre étrangère, loin de votre famille bien aimée et aujourd’hui éprouvée, qui ne connaîtra, plus hélas, la joie de votre libération. Nous visiterons et entretiendrons avec piété votre tombeau provisoire. Nous arracherons de l’oubli l’ineffable exemple de votre noble carrière médicale. »

       Les absoutes sont chantées devant le cercueil tout chargé de fleurs et la cérémonie religieuse se termine par un dernier souhait formulé par le ministre de Dieu : « In paradisiumdeducant te angelis…  (Les anges te conduisent vers toi au paradis) »

Vers le cimetière



Vers le cimetière

       La garde d’honneur est alignée sur deux rangs. Le cercueil passe. Une profonde émotion et un grand silence règnent sur l’assistance ; le cortège se reforme. En avant, voici le défilé des couronnes qu’un rayon de soleil vient frapper par moment. Douze sous-officiers portent le cercueil avec dignité et respect-ensuite trois officiers belges, les trente médecins du lazaret. La suite du cortège est composée des sous-officiers, caporaux et soldats de nationalités différentes. Le pas est lent, le ciel clair, le cœur lourd...

Au cimetière

       Nous voici rassemblés autour de cette sépulture provisoire. A gauche, le détachement allemand, puis le corps médical du lazaret et du camp en grande tenue. A droite, les couronnes forment une haie de fleurs d’où se détachent des suscriptions de regrets et de sympathie en langues diverses. Devant nous le cercueil noir couvert d’un grand drap immaculé et de notre drapeau. Après la bénédiction de la tombe, un discours d’adieu est lu par le docteur Mercier au nom de ses compatriotes : (Déjà vu dans la 1ère partie)



Au cimetière

       « Il a plus au Seigneur de rappeler à lui l’âme de son fidèle serviteur, notre cher regretté, le lieutenant-colonel Lombard. Que sa sainte volonté soit faite. La Médecine subit aujourd'hui une grande perte et dans cet irréparable malheur, je confonds mes regrets avec les regrets de ceux auxquels sont restés chers l’honneur de la Médecine et la gloire du Pays. Souffrez cependant qu’au témoignage de notre commune douleur, j'ajoute l'expression d'une douleur plus intime et plus tendre.

       C'est un malheur domestique qui vient de frapper la médecine, c’est un deuil de famille qui vient l'atteindre. Le colonel Lombard lui appartenait depuis plus de trente ans. Jamais aucun de nous n'a connu un confrère meilleur ni plus sûr, plus modeste, plus simple, qui parût plus sincèrement détaché de sa renommée et dont le souvenir doit demeurer plus vivant au milieu de nous. Mais ceux qui l'ont aimé et apprécié ne sont pas tous autour de cette tombe.

       Loin d'ici, bien des esprits et bien de cœurs suivent avec nous ses funérailles. Ce sont les amis inconnus que pendant si longtemps, ses publications ont émus et charmés ; ce sont les malades dont, tant de fois, il a distrait les douleurs, dont il a si souvent allégé les ennuis, ceux qui lui doivent une heure d'illusions, une lueur d'espoir, quelques instants de bonne humeur et comme une trêve bienvenue au milieu des dures réalités de cette vie de prisonniers. Hélas, qui sait, si bien souvent, notre Colonel n'a pas cherché lui-même dans ces actes de charité et de bonté paternelle la distraction de ses chagrins et l'apaisement de ses douleurs. Il laisse à son foyer une compagne profondément dévouée, telle qu'en pouvait désirer un homme, de travail et d'études, une épouse qui le chérissait et qui profitait de sa vie intérieure, comme de ses connaissances si étendues. Il laisse également une charmante jeune fille qu'il adorait. « Sa p'tite » comme il appelait, son seul enfant, son orgueil et sa joie ; il l’a vue grandir avec amour, passionnée comme lui, de voyages et de musique et qui aujourd'hui a déjà conquit l'estime et la considération de beaucoup de Belges. Hélas aujourd'hui un destin trop cruel l’arrache à notre affection, il était pour nous, Belges, un père autant qu’un chef ; dans ces discours prononcés dans ce même cimetière, il savait honorer la mémoire des morts. Il nous indiquait très simplement la voie de l’honneur et de la dignité. Il détestait les lâches, les envieux, les actes intéressés, il avait foi en l'avenir et soutenait par quelques paroles les découragés ou ceux qui flanchaient... Il était notre orgueil et notre gaieté ; il savait dérider les plus sévères et entretenir, chez nous l'espérance d'une Belgique forte et unie : notre devise nationale, n'est-elle pas humaine et féconde "L'union fait la Force". Il considérait comme un crime contre l'esprit, cette essence supérieure de l'âme, d'ignorer la confiance, l'amour l'espérance. Rappelons les paroles qu'il a prononcées le 21 juillet :

       Lorsque Brahma dans sa clémence, en écrasant une fleur fit la terre et le ciel, il y laissa le miel. Et ce fut l‘Espérance.

       Le Colonel s’est éteint calmement et pieusement et dans un recueillement suprême, le brillant esprit d'un maître de la cardiologie a laissé à l’âme du chrétien, la minute qui le séparait encore de Dieu.

       Mon Colonel, nous suivons la voie que vous avez tracée. Reposez en paix... Au nom, de tous mes camarades Belges qui ont goûté le charme de votre conversation, le réconfort de vos paroles et qui garderont fidèlement le souvenir d’un grand Belge de la petite Belgique, je vous dis ADIEU. »

       Le cercueil descend lentement dans la tombe, nos cœurs sont près d’éclater, nous voudrions exprimer notre pensée, mais un calme profond plane sur tous. Les derniers honneurs sont rendus par la troupe ; un défilé commandé par le premier chef Rombout du premier régiment des Guides, salue pour la dernière fois celui qui fut un chef en même temps qu’un père : ce sont les Belges, puis les Français, les Polonais, et enfin les Yougoslaves. Les groupes se disloquent en silence et la cérémonie se termine. Nous rentrons au lazaret et au camp. Maintenant que notre chef repose à l’ombre des grands sapins de Sandbostel, une profonde tristesse nous envahit, un vide qu’on ne peut combler s’est créé, un deuil frappe la petite colonie belge. Mais nous espérons ramener notre colonel dans notre chère Belgique qu’il a tant aimée et bien servie.

Mais son souvenir durera…

       Ce brusque dénouement d‘une si belle carrière médicale sera ressenti par ses anciens élèves de l’E.A.S.S. (Ecole d’application du service de santé).Le professeur Lombard avait pour eux des sentiments paternels et ses collègues de captivité lui manifestaient une respectueuse et profonde affection. A voir le nombre de prisonniers qui avaient pour lui une très grande sympathie et qui ont tenu à venir rendre à sa dépouille un dernier hommage, aussi bien à la chapelle qu’au cimetière, on réalisait l’empreinte profonde qu’avait marquée en eux ce grand et admirable praticien, cet homme, enfin, dont les qualités de cœur n’étaient discutées par personne. En captivité, il se dépensa sans compter, sans tenir compte de la fatigue, avec une humeur toujours aussi égale et une philosophie pleinement optimiste. L’homme qui disparaît est de ceux qui laissent derrière eux, comme le font les étoiles dans l’infini du ciel une trace lumineuse qui n’est pas prêt de s’éteindre. Ceux-là, seuls qui l’ont apprécié mesurent aujourd’hui ce qu’ils ont perdu par sa disparition brutale et peuvent en connaissance de cause exprimer à Madame et Mademoiselle Lombard leur tristesse et leur sympathie. Un grand Belge nous quitte, mais son souvenir durera…

                                                                                      Le lieutenant-médecin belge Mercier

                                                                                                      Ecole de pilotage

                                                                                                        29 janvier 1944



Abbaye Notre Dame de Bonne Espérance à Estinnes - Plaque commémorative des anciens morts en 40-45 portant le nom du Dr Lombard, ancien élève du collège.

3) Conclusion :

       Il est difficile, très difficile aujourd’hui, d’imaginer comment les soldats Belges, gardèrent foi en l’avenir derrière des barbelés pendant une période aussi longue. En mai 1945, il y en avait encore 70.000 en Allemagne dont 65.000 francophones. Nous restons ahuris et en complète admiration devant leur courage. La fraternité joua sans doute un grand rôle dans le maintien du moral des prisonniers. On s’aperçoit aussi que la présence de médecins dévoués joua un rôle non négligeable. Il est évident que ces officiers, dans les stalags, étaient regardés, scrutés par la troupe et qu’ils se devaient être des « exemples » de courage à imiter ! Comment aussi ne pas admirer aussi les épouses, parents et enfants des prisonniers ! Ils souffrirent sans nul doute tout autant que les prisonniers de la grande séparation qui n’en finissait pas et qui dura près de cinq ans ! Les familles devaient survivre sous l’occupation sans appui masculin ; il fallait trouver à manger, se chauffer, garder le moral avec un réseau social nettement moins dense que celui que connaissait les prisonniers. Il fallait en outre partager le peu qu’on avait en remplissant les colis adressés aux prisonniers et ne jamais se plaindre dans le courrier échangé ! L’hommage rendu ici aux docteur Lombard et au docteur Mercier doit donc, nécessairement, être partagé avec leurs épouses et enfants.

                                                                                                    Dr Loodts Patrick

                                                                                                      Septembre 2021

4) Addendum

1) Situation du Stalag X B à sa libération

       Le camp fut libéré par le 30e corps d'armée de l'Armée britannique, le 29 avril 1945 à l'issue d'un combat contre la 15e Panzergrenadier Division. Le commandant du camp, réalisant cependant que l'issue inéluctable était proche avait déjà signé la remise du camp aux prisonniers conduits par le colonel français Marcel Albert. Le 21 avril 1945, jour même de la signature du document de remise aux prisonniers du camp, des estafettes sont envoyées au devant de la Guards Armoured Division à Zeven afin de faire état de la situation critique dans laquelle se trouvait le camp. Deux unités armées furent envoyées vers le camp mais les combats ne leur permirent de l'atteindre que le 29 avril 1945 !

       Les Britanniques découvrirent environ 15 000 prisonniers de guerre ainsi que 8 000 détenus issus de camps de concentration.

       À la libération, le camp était divisé en trois zones. La première contenait les Alliés dans des conditions qui n'étaient pas satisfaisantes mais qui répondaient néanmoins à la convention internationale de la Croix-Rouge. Les prisonniers soviétiques qui n'entraient pas dans ce cadre bénéficiaient de conditions nettement moins favorables. La troisième section était constituée d'environ 8 000 prisonniers civils vivant dans des conditions déplorables décrites par le corps médical militaire tout comme par les forces britanniques comme "extrêmement horribles", "partout, les morts et les mourants se côtoyaient dans les déjections humaines". Les conditions y étaient tellement déplorables que les forces britanniques y faisaient référence en parlant de "little Belsen" en comparaison de ce qu'ils avaient trouvé à Bergen-Belsen.

       Le commandant des forces britanniques pour le nord-ouest de l'Allemagne, Brian Horrocks, interpellé par ces conditions sanitaires ordonna à la population civile allemande de contribuer au nettoyage et à l'ensevelissement des nombreux corps.

       Comme à Bergen-Belsen et malgré les efforts des Alliés, des centaines d'ex-détenus mouraient chaque jour qui suivit la libération en raison des privations, du typhus ou d'autres maladies. Selon les estimations, les morts à Sandbostel entre 1939 et 1945 se comptèrent entre 8 000 et 50 000. Seuls 5.162 décès sont attestés. Les Russes estimèrent que pour leur seul contingent, 46 000 prisonniers y trouvèrent la mort mais ce chiffre semble exagéré.



Des jeunes allemands de la région aident à l’évacuation des malades du typhus en mai 1945 au Stalag XB

       Les détenus furent soignés et transférés vers un hôpital improvisé à l'extérieur du camp Les 350 derniers patients quittèrent l'hôpital le 3 juin 45.



Quelques baraques à droite et à gauche les latrines

       Certains baraquements furent dédiés à l'emprisonnement de Nazis en attente de leur jugement !

2) Le Mémorial

       Une association a été créée en 1992 pour veiller à la maintenance du site. Depuis cette année, la plupart des baraquements furent protégés ou classés en raison de leur intérêt patrimonial et commémoratif. La création d'un mémorial sur le site se heurta à une forte désapprobation locale19. En 2004, la fondation Stiftung  Lager Sandbostel est instituée. Après trois années de préparation, le Gedenkstätte Sandbostel (mémorial de Sandbostel) est ouvert en 2007. En avril 2013, une exposition permanente y est inaugurée. Sur l'ensemble des 150 baraquements, plus de 20 ont été conservés (la plupart dans la zone qui hébergeait les prisonniers de guerre soviétiques). La plupart a conservé sa configuration d'origine, d'autres ont été altérés par les différentes affectations données au fil du temps à ces bâtiments

 

 

 

 



[1] Voici ce qu’écrit, avec humour, le docteur Jules Mathieu sur les chahuts des élèves-médecins en 1937 lors d’un regroupement obligatoire.
L’année 1937 fut complétée, cette année-là, par un enseignement militaire intensif, théorique, physique et pratique de deux promotions d’élèves (16 et 17ème promotion) des 4 facultés du pays. Nous étions une bonne quarantaine, logés dans le vieil hôpital militaire Faucon qui n’était pas un immense et luxueux palace. Le plus représentatif était sans doute le grand Mercier de la 16ème promotion. Le volume de son crâne avait imposé le port d’un casque particulièrement bombé et du plus beau jaune kaki. Le restant de la troupe portait des casques raisonnablement kaki moins voyants. Mercier avait un inimitable accent carolo et une voix de stentor. L’inter facultaire militaire fonctionnait à merveille, soudés que nous étions par nos chants collectifs et publics dans les rues de Louvain ; chanson de carabins qui rivalisaient d’obscénité et de puissance sonore. Il s’agissait d’aller près des usines Philips dans la plaine d’Heverlée, nous exercer à la manipulation des brancards Discry.

 



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