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Le cheval et le prisonnier.

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Le cheval et le prisonnier.

point  [article]
Cette histoire aurait pu être celle d’Emile Mignon, de Haccourt, et de son cheval, en Allemagne en 1942 à la ferme de Hofem

Histoire de cheval !

Le cheval et le prisonnier[1]

« Komm » me dit le bauer en me conduisant à l’écurie. « Das ist Max ». C’est un grand hongre noir, maigre et peu sympathique. Le patron m’explique beaucoup de choses dans son dialecte mais je ne saisis que quelques mots. Je finis par comprendre qu’il avait acheté Max depuis peu comme cheval de troupe, réformé  de l’armée allemande pour rétivité, que c’est une bête dangereuse  toujours disposée à mordre et à ruer. Tel est hâtivement brossé l’encourageant portrait de mon compagnon de travail. Mon employeur se retira en m’invitant à panser Max « also » dit-il,  « achtung, achtung ! » Et le voilà parti me laissant seul avec Max et les senteurs ammoniacales de l’écurie.

J’ai accompli mon service militaire dans la cavalerie mais 10 ans se sont écoulés. Je me remémore le mieux possible la théorie sur le cheval. Je me souviens de nos vieux Maréchaux-de-logis qui à force de vivre avec les chevaux avaient fatalement fini par devenir plus cheval qu’un cheval. Méfiez vous du derrière du cheval comme du devant d’un e…(Les anciens cavaliers combleront facilement ce blanc !)

Avec mille précautions je m’approchais du canasson ; il eut un faible hennissement. Je m’enhardis, il se montre très calme et très gentil. A plusieurs reprises, de ses grosses lèvres noires, il saisit mon bonnet de police pour le laisser ensuite gentiment tomber dans sa mangeoire. Il hennit de satisfaction et à mon grand étonnement je décelai comme de la douceur dans ses gros yeux noirs cerclés de rose.

Au travail, il m’obéissait au doigt et à l’œil et pourtant je lui parlais en wallon liégeois oh combien différent du patois allemand ! Mon patron n’en croyait pas de ses yeux ni de ses oreilles, pas plus que moi d’ailleurs. Tous les villageois connaissaient Max plus que moi d’ailleurs pour sa méchanceté. Mon « bauer »  ne cessait de répéter que « son » prisonnier en faisait ce qu’il voulait ! Warum ? Pourquoi ?

Plus tard, je finis par découvrir la raison du comportement de Max à mon égard .Un beau jour en lui lavant les sabots, j’eus l’attention attirée par des marques usées : A.B, un numéro matricule illisible puis 3A ! Compris !  Tout heureux j’embrassai la grosse tête de Max ! Il était cheval de troupe de l’armée belge du 3° artillerie de Liège, fait prisonnier comme moi ! Tout s’expliquait, dés la présentation Max avait reconnu l’uniforme belge, mon bonnet à floche et mes mots wallons  résonnaient dans ses oreilles, éveillant en lui des souvenirs de paix et de bien-être. Comme moi, Max était un déraciné et dans ses rêves de cheval, peut-être défilait-il porteur ou sous-verge, au son des trompettes du 3 A  sur la Place Saint-Lambert, au Pont des Arches ou au Boulevard de la Constitution. Voilà pourquoi Max et moi on s’aimait bien ! 

Enfin la libération tant attendue  et tant espérée vint.  Avant de m’engager sur le lumineux chemin de la liberté  et du retour je suis allé dire adieu à Max. Je lui ai serré sa grosse tête sur ma poitrine en lui disant : « C’est fini séss Max » (C’est fini sais-tu, Max). Il eut un faible hennissement, comme un sanglot. Le cœur serré, je m’éloignai  dans la pénombre de l’écurie ; il me parut plus noir encore, le  verrai toujours la tête basse, le regard infiniment triste, lui, cheval de troupe prisonnier de guerre à perpétuité.

 

 



[1] Gilbert Trinon, Prisonnier de guerre en Allemagne de mai 1940 à  mai 1945

Lu dans le bulletin de l’Union Nationale des C.R.A.B.

 



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