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Lidia, la fillette de trois ans qui survécut 11 mois à Auschwitz

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Lidia, la fillette de trois ans qui survécut 11 mois à Auschwitz



Lidia à l’âge de cinq ans

       Nous venons de nous remémorer l’enfer d’Auschwitz 80 ans après sa libération. Lidia Makysymowitz est parmi les rares survivantes qui vivent encore en 2025. Son histoire est bouleversante. Ses parents étaient des résistants catholiques biélorusses. Cachée dans une sorte de cave à pommes de terre, une « Zemlyanka », creusée dans la forêt jouxtant la frontière de la Pologne, leur repaire avait été découvert par les soldats allemands…  Le père avait pu s’échapper mais la mère, Anna Boczarowa, leur fille Luda (plus tard, son prénom deviendra Lidia) et les parents d’Anna sont emmenés à Auschwitz.

       Luda vient d’avoir trois ans et sa mère 22 ans quand elles débarquent de leur wagon, en décembre 43, sur la rampe du camp maudit. Aussitôt les déportés sont sélectionnés. Les grands-parents de Luda sont dirigés vers les chambres à gaz tandis que la mère et sa fille passent devant le SS sélectionneur. Ce dernier n’est rien d’autre que le docteur Mengele. Luda est un bambin tout menu, aux traits très fins… Mengele tombe sans doute sous le charme de l’enfant qui est épargné pour devenir un de ses sujets d’expérimentation. Luda est alors séparée de sa mère et emmenée dans la baraque qui recueille les enfants destinés aux études sordides du médecin nazi. On imagine aisément les affres de cette séparation mais elle a sans doute permis que Luda et sa mère puissent rester en vie car, sur la rampe, toutes les femmes et enfants débarqués ensemble étaient destinés à la chambre à gaz.

       Luda n’a que trois ans mais des « flashs » de souvenirs de cette époque lui resteront à jamais : le regard du sélectionneur, le visage de sa mère au moment de la séparation… le tatouage de son numéro. Dans les premiers jours de la séparation, sa maman, gardée en vie comme main d’œuvre, parviendra, de temps à autre, à quitter son bloc pour rendre visite à sa fille. Chance incroyable, son bloc n’est qu’à cinquante mètres de celui des « enfants de Mengele » mais pour y arriver, elle doit ramper dans l’obscurité, avancer dans la boue mètre après mètre pour ne pas être repérée par les sentinelles. Cela représentait un énorme risque. Luda raconte dans ses mémoires qu’à l’occasion d’une de ces visites, sa mère fut repérée, sans doute par le kapo du bloc. Elle dut alors se défaire des quelques oignons qu’elle comptait donner à sa fille avant d’être tabassée au point de perdre ses dents de devant !

       Le bloc des enfants est affreusement sale. Il n’y a pas d’eau. La Kapo occupe une pièce à l’entrée et règne sur les enfants avec un bâton et un fouet !. Le régime consiste en un peu de pain et de soupe et avec parfois une espèce de café préparé avec des herbes. Les seuls évènements qui ponctuent la journée sont l’appel dans le bloc et les visites de temps à autre de Mengele qui vient chercher des enfants pour ses expériences. Luda est si menue qu’elle parvient de temps à autre à se soustraire aux expériences en se cachant dans les coins les plus inaccessibles du bloc. Les enfants cherchent à disparaître de n’importe quelle façon et leur ultime recours est de croire que se cacher leur visage avec les mains suffit à les rendre invisibles du SS ! Les enfants ne peuvent sortir du bloc et les journées se passent pour eux assis sur les planches qui servent de lits, les jambes pendantes et leurs têtes dodelinant sans arrêt.

       Avec la malnutrition, des furoncles apparaissent sur le corps des enfants jamais lavés et la mort devient coutumière dans ce bloc. Malgré ses cachettes, Luda est sélectionnée à plusieurs reprises pour des transfusions sanguines ou des inoculations de substances, notamment dans les yeux. Souvent, on la ramène évanouie. De Mengele, Luda se souviendra, non de ses traits, mais de son regard glaçant. Un jour, Luda fiévreuse est envoyée à l’hôpital du camp qui comprend un service de pédiatrie où une doctoresse russe (sans doute une erreur, il doit s’agir d’une pédiatre allemande du nom de Lucie Adelsberger) fait ce qu’elle peut avec des moyens dérisoires. Cette médecin est prise de pitié devant Luda et parvint à faire muter sa mère à l’hôpital comme femme de corvée. C’est là un véritable miracle car la maman de Luda peut à nouveau s’occuper de sa fille pendant quelques jours, ce qui augmente considérablement ses chances de guérison… Mais, un jour, alors que Luda entame sa convalescence, les rumeurs font part d’une prochaine sélection dans le bloc de la pédiatrie : les enfants trop faibles et désignés par le médecin SS seront conduits vers une des quatre chambres à gaz. La maman de Luda, avec la complicité de la doctoresse parvint cependant à faire « enlever » sa fille par un prisonnier, homme de corvée, qui va la déposer dans le bloc des enfants cobayes. La Kapo accepte le retour de l’enfant sans trop de problèmes et Luda retrouve à nouveau la désastreuse ambiance de la prison pour enfants.

       Le séjour de Luda dans ce bloc durera 13 longs mois, jusqu’au jour où le camp, menacé par les troupes russes, est évacué. Les prisonniers entament alors une « marche vers la mort » dans le froid glacial de janvier 45. Les enfants et les malades grabataires sont abandonnés dans le camp. Luda se souvient de la dernière visite de sa maman dans son bloc : sa mère lui avait pris la tête entre ses mains pour l’observer longuement et l’embrasser avant de lui faire son ultime recommandation : « N’oublies jamais ton nom et d’où tu viens ! ». Luda gardera effectivement en mémoire la phrase qui beaucoup plus tard lui sera précieuse : « Je suis Luda  Boczarowa, j’ai cinq ans et je viens de Bielorussie » !

       Les enfants restent enfermés dans leur bloc malgré le départ de leur kapo. Heureusement pour eux, l’attente ne sera que de 36 heures.  Les soldats Russes rentrent dans le camp et, dans leur sillage, les femmes de la ville d’Oswiecim[1] qui jouxte Auschwitz Birkenau. Ces femmes ont pitié des enfants du bloc et les recueillent alors dans leurs foyers. Une d’entre elle recueille ainsi Luda désespérée de ne pas avoir retrouvé sa mère. Elle quitte le camp avec cette Polonaise qui la sauve de l’enfer et qu’elle appellera beaucoup plus tard « maman Bronislaw ». Luda ne pleure cependant jamais en pensant à sa maman disparue car dans son bloc, pleurer, crier était des comportements punis par les coups de la Kapo. Elle avait donc appris à cacher ses sentiments pour survivre.

       Luda sera élevée avec amour mais non sans une certaine sévérité, par cette Polonaise et son mari restés sans enfants. Quand ses parents adoptifs décidèrent de la baptiser, ils lui donnèrent le nouveau prénom de Lidia. Lidia est une petite fille qui s’épanouira dans la Pologne de l’après-guerre malgré tout ce qu’elle a subi ; sa famille d’accueil est pauvre mais personne n’est triste.

       Lidia n’oubliera cependant jamais sa vraie mère. Adolescente, elle écrit au siège de la Croix-Rouge internationale à Hambourg qui lance alors une recherche pour trouver ses parents. Les mois passent mais, un jour, on lui communique que l’on a retrouvé trace de sa mère en URSS et que celle-ci la recherche désespérément depuis des années. Sa maman, survivante de la marche de la mort, avait subi plusieurs semaines de soins médicaux après sa libération (elle n’avait plus que 37 kg). Par après, elle eut la chance de retrouver, à Minsk son mari vivant. Ce dernier s’était engagé dans l’armée russe après s’être échappé de Biélorussie. Le couple reconstitué avait ensuite recherché leur fille dans tous les orphelinats de l’URSS puisqu’on leur avait dit que tous les enfants orphelins de Birkenau y avaient été envoyés.

       Lidia se maria avec le fils d’un voisin polonais nommé Arthur Maksymowicz en 1961 à l’âge de 21 ans, juste avant d’être informée par la Croix-Rouge que ses parents l’attendaient avec impatience à Moscou. La rencontre miraculeuse après tant d’années est préparée et médiatisée par le régime soviétique. Une date est fixée en 1963 et pleine d’appréhension pour cet évènement à la fois tant désiré et tant craint, Lidia s’embarque, avec toute sa famille adoptive, dans le train qui l’emmène à Moscou. A l’arrivée, sur le quai, c’est une foule qui l’accueille. Maman Anna, la vraie mère de Lidia, en apercevant sa fille, s’évanouit d’émotion et les secours doivent la prendre en charge. C’est son père bouleversé qui vient alors à sa rencontre en pleurant ! Après la longue séance photo, tous les arrivants sont transportés dans un hôtel et c’est seulement dans le salon de l’établissement que fille et mère s’embrassent après 18 ans de séparation. Suivent des heures frénétiques jusqu’à la visite prévue au Kremlin suivi d’un long voyage organisé dans de nombreux endroits de l’URSS. Lidia a alors l’occasion de faire connaissance avec ses deux sœurs nées après la guerre. L’angoisse reste cependant encore présente chez la jeune femme qui craint l’avenir. Elle soupçonne les autorités russes et sa maman de vouloir la convaincre de rejoindre la localité de sa famille naturelle à Donetsk mais Lidia, elle se sent maintenant plus polonaise que russe. Finalement, ce qui la sauve de ce dilemme est son récent mariage qui lui donne le prétexte de rejoindre son nouveau foyer polonais à Oswiecim. L’apaisement le plus grand à ses angoisses lui fut obtenu lorsque ses deux mamans se serrèrent dans les bras l’une de l’autre ! Lidia garderait alors ses deux mamans aussi précieuses pour elle l’une que l’autre !



A gauche la maman adoptive, au centre Lidia, à droite sa mère naturelle Anna Boczarowa, à l’hôtel Leningrad de Moscou. (Photo extraite du livre « La petite fille qui ne savait pas haïr » Editions J’ai lu N°14133)


       Lidia (elle gardera son prénom polonais)  accueillit le pape Jean-Paul II  en 1989. Il posa sa main sur sa tête. En 2006 c’est Benoit XVI qui visita le camp et qui impressionna Lida par son attitude de silence et de prière. Seul, il s’est assis sur un banc face aux dortoirs des détenus et il est resté un quart d’heure immobile les mains jointes… En 2021, elle rencontrera  le pape François qui se penche sur elle et dépose un baiser sur son tatouage 70072.



Conclusion

       L’histoire de Lidia nous rappelle évidemment la résilience extraordinaire d’un enfant mais nous introduit aussi dans l’enfer d’Auschwitz qui restera à jamais comme un sinistre et immense nuage noir surplombant immobile notre pauvre terre. Rien, absolument rien ne pourra sur cette terre compenser l’extraordinaire somme de souffrance subie par les millions de détenus des camps d’extermination SS. Les cris de ces souffrants sont restés ignorés des hommes de leur époque et, plus interpellant encore, le nombre incalculable de prières montées vers Dieu d’Auschwitz n’ont pas reçu de réponse. Existe-t-il pourtant un endroit au monde qui fut plus priant que cet endroit ?

       La Shoa nous a fait en tout cas découvrir une chose Dieu, s’il existe, n’est pas tout puissant. Le monde appartient bien aux hommes et ils en font ce qu’ils veulent. Mais si Dieu ne put arrêter les tortures morales et physiques, il fut cependant bien présent dans ces lieux de déréliction absolue. Il y fut présent à la fois comme victime et comme témoin. Une jeune femme, Etty Hillesum, exprime merveilleusement ce paradoxe qu’elle découvre dans le camp de Westerbork où l’on rassemble, en Hollande, les Juifs avant de les envoyer à Auschwitz. Sur terre, ce n’est pas à Dieu de nous aider mais nous à l’aider !

       « Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi mais Je ne peux t’en garantir d'avance. Une seule chose cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque et c'est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Ou mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c'est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m'apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c'est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous (…). (Etty Hillesum, « Une vie bouleversée », page 175, collection Points, Editions du seuil, 1985)

       Le psychiatre Viktor E. Frankl, lui-même ancien déporté, dira la même chose avec d’autres mots : Trop souvent nous nous demandons « Que puis-je attendre de la vie ? » au lieu de « Qu’attend la vie de moi ? »  Ce rescapé autrichien des camps où il a perdu toute sa famille, notamment son épouse enceinte deviendra célèbre en tant que fondateur de la logothérapie.

       Se révolter contre Dieu, ou plutôt lui crier notre stupéfaction qu’il n’ait pas agi devant la mort infâmante que les nazis ont imposé à des millions d’hommes, de femmes, d’enfants est une attitude normale…Mais à nouveau, et c’est un grand mystère, il faut considérer que Dieu lui-même souffrit, à un point que nous ne pouvons imaginer, de la destruction de tant de ses créatures dans lesquels il vouait établir sa demeure. Reste encore aujourd’hui à supplier Dieu d’honorer non la vengeance mais la justice en rétablissant, sans doute d’une manière dont nous ne pouvons imaginer, la vie de toutes les victimes de la barbarie.

       Justice et non vengeance. Curieusement la plupart des rescapés abandonnèrent la haine. Etty Hillesum pensait qu’il suffit d’un seul homme digne de ce nom pour que l’on pût croire en l’homme, en l’humanité, d’un seul « Allemand » respectable pour qu’il soit interdit de déverser sa haine sur un peuple entier. Le psychiatre Frankl, dans la même ligne de pensée, rappelait un ancien mythe affirmant que l’existence du monde était fondée sur la présence en tout temps de 36 personnes vraiment justes. Seulement 36 ! Une minorité infinitésimale et cependant elles assurent l’existence morale continue du monde. 

       Pour les rescapés comme pour nous, l’image insoutenable d’enfants, de bambins marchant innocents de la rampe d’Auschwitz vers les chambres à gaz nous fera toujours supplier justice et donc compensations pour ces créatures à l’image de Dieu. Quant aux hommes possédés par la haine, nous n’en avons aucuns soucis !

       Autre certitude des rescapés : pour éviter de pareils séismes causés par l’homme, il faut être occupé par sa propre révolution. Etty Hillesum dira que chacun fasse une révolution sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. Et Soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu’il n’est déjà ! (Etty Hillesum, « Une vie bouleversée », page 218, collection points, éditions du Seuil, 1985)

       La doctoresse Lucie Adelsberger, qui fut elle-même déportée à Auschwitz, nous dira aussi que le monde doit savoir qu’une petite étincelle de haine peut se transformer en un brasier très violent, que personne ensuite n’arrive à circonscrire (…) Une pincée d' antisémitisme de salon, un peu d'antagonisme politique et religieux, le rejet de celui qui pense différemment en politique, en soi un inoffensif fourre-tout, jusqu'à ce qu'un dément arrive et en fasse de la dynamite. Il faut comprendre cette synthèse si l’on veut éviter dans l’avenir que des choses se passent comme à Auschwitz. Quand la haine et la calomnie germent à bas bruit, alors, cela veut dire qu'à ce moment, il faut être éveillé et être prêt. C'est cela le testament de ceux d'Auschwitz.  (Lucie Adelsberger, « Une pédiatre à Auschwitz, page 209, 2024, Editions Anne Carrière)

De la poussière, il relève le faible,
Il retire le pauvre de la cendre
Pour qu’il siège parmi les princes,
Parmi les princes de son peuple.
(Psaume 112)

Dr Patrick Loodts

 

 

 

 

 



[1] Oswiecim est une petite ville de 34.000 habitants où fut implanté le camp de concentration d’Auschwitz. Vivre dans cette cité, c’est vivre avec une dimension tragique, cependant les habitants tiennent à rappeler que leur cité date de 800 ans alors que le camp n’a qu’un peu plus de 80 ans d’existence. Avant-guerre, plus de 60% de la population était juive. Aujourd’hui, la ville se rappelle de cette présence par un musée d’histoire juive et conserve un vieux cimetière juif, miraculeusement conservé. Les habitants doivent souvent faire face à de nombreux défis comme vivre normalement auprès d’un site qui reçoit près de deux millions de visiteurs par an.       

 



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