Maison du Souvenir
Accueil - Comment nous rendre visite - Intro - Le comité - Nos objectifs - Articles
Notre bibliothèque
-
M'écrire
-
Liens
-
Photos
-
Signer le Livre d'Or
-
Livre d'Or
-
Mises à jour
-
Statistiques
Son idole. Drame en trois actes. DE MM FERMEUSE ET GERVAIS Cette pièce écrite pour nos camarades de captivité
fut créée au cours d'une représentation théâtrale de Kommando,
sur une scène de fortune, dans des décors façonnés par des prisonniers de
guerre belges. Tous les rôles
furent tenus par des acteurs-amateurs choisis parmi nos camarades. Ecrite en
captivité, nous dûmes l'adapter aux moyens que nous possédions et lui donner le
genre le plus apprécié de l'auditoire. P. Gervais R. Fermeuse PERSONNAGES Joseph
50 ans Entrepreneur de menuiserie. Denise
48 ans Femme de Joseph, ménagère. Georges 25 ans leur fils, employé aux PTT. Paul
22 ans ami de Georges, garagiste. Rudy
40 ans serveur de bar (de classe). Flora
20ans jeune fille moderne, dactylo. Un
juge, Un
greffier, Un
procureur, Un
gendarme. SON
IDOLE. Au lever du rideau, la scène
représente une salle à manger, intérieur villageois: chez Joseph Marmon. Mobilier respirant l'aisance et la propreté: une
table, chaises, fauteuil, etc. .. Un porte-manteau
avec deux vestons. Au fond, une porte donnant sur l'extérieur; à droite, une
seconde porte donnant sur la cuisine. Premier
acte. Au
lever du rideau, Joseph, Denise et Georges sont à table. Le repas s'achève. Denise
: Eh
Bien ! Vous ne dites pas si ma cuisine vous a plu; ce n'est pas un compliment
pour moi. Je ne sais jamais que faire pour que ça vous goûte moi ... Joseph
: (à Denise).
Pourquoi diable, mettez-vous à présent votre tricot dans ma poche ? Denise
: Moi ? Que me
chantez-vous là ? Je n'ai pas de tricot commencé pour le moment. Joseph : Mais
d'où cela vient-il donc ? Denise
: Laissez un peu
voir. (Joseph donne le tricot à sa femme qui l'examine ahurie). C'est un
chausson d'enfant ! Georges
: Ce n'est pas dans
votre poche, papa ... C'est dans la mienne (timidement). Joseph
: (retourne chercher
sa pipe dans son veston, revient en la bourrant). (A Georges) :
m'expliquerez-vous où vous êtes allé chercher ça ? Georges : (hésite
et ne répond pas). Denise : Allons,
répondez !... (A part) Un chausson d'enfant ! Georges
: (l'air gêné) oh, ne
vous tourmentez pas, maman. Je sais ce que vous pensez, mais
tranquillisez-vous, ce n'est pas moi qui suis père ! Joseph : Il
ne manquerait plus que cela ... Mais ...alors ...expliquez-vous ! Denise : Oui,
expliquez nous. Expliquez nous vite ... Georges
: Voilà ...Je me suis
promené un peu avec... avec... Flora. (les deux vieux
se regardent).Nous nous sommes assis sur l'herbe! Flora a tricoté en bavardant
et en me quittant, par jeu, elle a mis son tricot dans ma poche. Ce sont des
chaussons pour la petite fille de sa sœur, elle ne croyait sûrement pas, en
faisant cette farce innocente, créer un tel mystère. Joseph
: Mystère !...mystère
!...De nous trois, c'est vous qui faites le plus de mystère. Depuis trois ans
déjà que vous la voyez en cachette, aucune de nos remontrances, rien n'a pu
vous empêcher de revoir cette fille. Georges
: Pourquoi FILLE ? .. Que lui reprochez-vous à Flora ? Denise
: Vous savez,
Georges, que cette jeune fille ne nous plaît guère. Qu' a-t-elle
de si plaisant qui vous charme à ce point ? Georges
: Mais elle est si
jolie, maman ! Joseph
: Oui, pour vous, il
n'y a qu'une chose qui compte : « la BEAUTE ». Georges
: Oh ! Ça recommence,
c'est toujours la même chanson, ici. Joseph
: Georges, taisez-vous,
je suis votre père et je sais ce que je dis. Vous ne devez pas vous enflammer
pour n'importe quelle jeune fille. Vous êtes jeune et vous perdez la tête. Vous
avez encore bien le temps, toute la vie est devant vous; écoutez nos conseils. Georges
: Mais enfin papa, vous
pouvez vous tromper aussi! Je ne perds pas la tête, j'aime Flora et je sens que
je n'aimerai jamais qu'elle. Vous devez me comprendre lorsque je dis : JE
L'AIME. Denise
: Oh ! Je sais
Georges, mais on oublie ... Georges : Mais ... la connaissez-vous
seulement? Lui avez-vous déjà causé ? Vous ne pouvez pas la juger sans au moins
l'avoir vue. Je vous l'ai déjà demandé, chaque fois vous me répondez
évasivement. Peut-être prenez-vous trop attention aux racontars, mais moi, je
puis vous dire que si l'on peut causer d'elle, ce n'est que pour la louanger. Joseph
: Georges, vous vous
emballez, vous jugez avec votre cœur de vingt ans. Pour une Flora qui sent la
poudre de riz et s'habille au-dessus des genoux, vous chagrinez vos parents.
Vous êtes obligé de leur mentir pour cacher vos rendez-vous ... Elle vous ensorcelle,
Georges ... Georges
: Elle, m'ensorceler !
! Mais papa, elle n'a rien d'une ensorceleuse ... et ce n'est pas une femme
fatale ... Joseph
: (doutant) Elle me
fait plutôt l'effet d'une vierge folle. Georges : Oh
papa !... Si vous ne voulez pas la connaître, au moins, respectez-
la. Comment pouvez-vous dire de pareilles choses de celle qui sera peut-être un
jour votre belle-fille... Je ne désespère pas, moi, papa ... Denise
: Georges, je crois
que vous vous abusez, pourquoi vouloir à tout prix vous en aller ? Georges
: Mais pourtant avec
elle ou avec une autre, il faudra bien un jour que je m'en aille. Joseph
: Oui, en effet
Denise, il faudra bien qu'il parte un jour, mais avec Flora, je ne pense pas. Georges
: Ah ! Si vous saviez
mes chers parents combien ça me pèse de devoir discuter ainsi. Je préfère
sortir un peu, réfléchissez pendant que je vais à mes dahlias (il sort). Scène 1 Joseph et Denise Joseph
: Et alors ?... Denise
: Alors, que va-t-on
faire ? Joseph
: Et bien ... je ne
sais pas... mais, au fait, que lui reprochez-vous à cette Flora ? Denise : Moi ? Mais ... Joseph
: Elle travaille ? Denise
: Oui. Comme deuxième
dactylo au moulin de Gand. Joseph
: Il ya longtemps que
sa mère est morte, n'est-ce pas ? Denise
: Oui et depuis que
sa sœur est mariée, c'est elle qui tient le ménage et on n'entend jamais rien
dire. Joseph
: Et son père ? Denise
: Vous le connaissez
bien, c'est lui qui est venu le mois dernier vous acheter des planches pour
réparer son pigeonnier ! Vous vous en souvenez n'est-ce pas, Joseph ? Il
lui fallait des rabotées, polies, etc. .. C'est un
colombophile enragé. Oh, il ne s'occupe guère de sa fille. Il est presque
toujours en ville avec ses paniers. Joseph
: Ah tiens ... c'est
lui. (II fait la moue). Hum ...Hum ... Denise
: En somme, c'est le
même genre que nous, je ne vois pas pourquoi nous empêcherions Georges de
marier cette fille-là. Joseph
: Bah... Bah... Ce
n'est pas là ce que vous disiez au début de leur relation. Denise
: Mais c'est vous
Joseph qui n'aviez pas l'air très satisfait. Joseph
: Allons ... allons,
Denise ... ne mettez pas encore cela sur mon dos. Denise
: Et bien, vous êtes
bien bon vous; c'est vous le père de famille et c'est moi qui dois montrer
chaque fois de l'initiative. Joseph
: Soit, ce n'est pas
le moment de nous disputer. C'est tout de même l'avenir de Georges qui est en
jeu. Pour moi, du moment qu'elle est bonne ménagère, et qu'elle fasse le
bonheur de notre fils, puisque de toutes façons, cela devra se faire un jour
...assez d'histoire, qu'il la marie. Denise
: D'accord mon homme,
nous ne pensions qu'à nous et nous voulions le garder le plus longtemps
possible à notre table. (Un temps) Maintenant que cette question est réglée, je
vais ranger la vaisselle. Joseph
: Minute Denise, ce
n'est pas tout. Il faut nous arranger pour leur dire le plus tôt possible notre
décision. Appelez Georges. Denise
: Bien, je cours le
chercher. (Elle sort en appelant Georges). Scène
2 Joseph seul (se raisonnant) Il a raison le petit, il
faudra qu'il parte un jour, nous avions peur, nous avions peur de rester
seuls... D'avance, je vois sa place vide, là près de la fenêtre ...A table,
fini les « Georges, tiens-toi convenablement, ne lis pas en mangeant, Georges
». Il a tant de peine à supporter cela et pour moi, tous ces riens font partie
de ma vie, tout comme le bruit de mes scies à l'atelier. Ce sera si calme ici, rien que la mère et moi. Plus de rires ni de
chansons. Avec lui parti, toute notre gaieté, la jeunesse, la vie de notre
maison, que restera-t-il ? Deux pauvres vieux au coin du feu et des souvenirs
... Des
souvenirs... Nous perdons notre rayon de soleil, notre raison de vivre, notre
but, (un temps) (se reprenant,) notre but ! Mais non nous ne le perdons pas,
nous y allons (se levant). Il faut que la génération monte, il faut que le
cercle s'élargisse... Les menottes de nos petits-enfants caresseront nos cheveux
blancs. Notre petit Georges nous sera revenu. D'autres rires, d'autres
chansons, plus jeunes ceux-là, étoufferont nos rancœurs, réveilleront les échos
du passé... Oui, Georges, tu as raison, je ne suis qu'un
grand égoïste. Marie-toi ! marie toi vite (il court
vers la porte du jardin et appelle Georges). Mais où donc est-il allé ? Scène
3 (Georges
rentre suivi de sa mère et se précipite vers son père) Georges : Oh papa, vous ne sauriez croire
combien je suis heureux, de savoir que vous m'autorisez à courtiser Flora.
Lorsque maman m'a appris cela au jardin, j'ai cru défaillir de joie rien qu'en
pensant à notre futur bonheur. Vous verrez comme nous serons heureux ici. Joseph
: Oui mon Georges
vous avez raison. Mais voyez vous mon fils, il faut raisonner, le mariage est
loin d'être une chose légère ... Etes-vous bien sûr de votre amour pour Flora ?
Réfléchissez avant de me répondre. Il ne faut pas envisager rien que le bon
côté du mariage ; il ya aussi les devoirs de l'un envers l'autre. Pensez-vous
que Flora saura les remplir ? Croyez-moi, je suis votre père et je cause par
expérience. Denise
: C'est vrai Georges,
lorsqu'on se maire, c'est pour toute la vie. Georges
: Ne vous en faites pas
maman, Flora n'a-t-elle pas déjà fait preuve d'attachement, de patience et de
courage, quand vous me défendiez de la voir ? Quant à être bonne ménagère, quel
apprentissage ne fait - elle pas depuis son enfance ?
Seule avec son père. Joseph
: D'après ce que vous
venez de dire Georges, je vois vraiment que vous l'aimez; s'il en est ainsi,
allez la chercher, amenez la nous tout de suite. Georges
: (s'élance vers son
père et sa mère et les embrasse). Merci chers parents ! (il sort). Scène 4 Denise et Joseph Joseph
: Allons, Denise,
remettez-vous, rangez un peu la maison et préparez nous une bonne tasse. C'est
tout de même notre future belle-fille qui va nous arriver. Denise
: Oui.... Scène
5 Paul, Joseph, Denise (Trois coups discrets sont frappés à la
porte, Paul, figure noircie, en costume de travail, rentre en
coup de vent au milieu de la pièce, regarde Denise et Joseph, sans pouvoir se
décider à saluer l'un ou l'autre. S'avançant vers Joseph) Paul
: Bonsoir,
monsieur Joseph, comment allez-vous ? Joseph
: Bien et vous, Paul ? Paul
: Bonsoir maman
Denise, vous êtes toute rajeunie aujourd'hui (se retournant vers la fenêtre).
Bonsoir, Georges, qu'as-tu fait de bon cet après-midi ? Tiens ! Il n'est pas
là. Il n'est d'ailleurs jamais là quand je viens. Où est-il encore allé, madame
Denise ? Denise
: (interrogeant du
regard Joseph qui acquiesce). Il est parti chercher sa fiancée. Paul
: (étonné) Sa fiancée
? Quelle fiancée ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? Joseph
: Quelle fiancée ?
Flora... où...Chez elle... quand ? Maintenant. Pourquoi ? Pour nous l'amener...
comment ? A pied certainement ! Paul
: (Stupéfait)
Flora ! Mais je croyais que... Georges m'avait dit... enfin que... Joseph
: Que nous n'étions
pas d'accord. Oui. Mais nous avons changé d'avis ce soir. Denise
: Il faut quand même
qu'il se marie, n'est-ce pas, Paul ! Il a 25 ans... Et ...un bon emploi et
puisqu'il n'aime que Flora .... Nous avons capitulé ! Paul
: Et Georges,
d'habitude si calme, qui a su venir à bout de deux têtes comme vous ! Joseph
et Denise : He là, doucement hein mon
gaillard. Denise
: Quand vous serez
marié avec ma nièce, vous, vous aurez l'occasion d'éprouver une plus dure tête que la mienne. Paul
: Mais Henriette
n'a pas la tête dure, quand nous discutons, elle me répond toujours ( chantant) amen. Joseph
: Halte Paul, vous
vous trompez, ce n'est pas d'Henriette que Denise cause (ponctue). C'est de
votre future belle-maman. Je la connais bien moi, il ya 30 ans que j'essaie
d'amollir la cervelle de sa sœur. Denise
: (Se rebiffant) Comment voulez-vous qu'un ramolli me
ramollisse? Hein, Paul, qu'en pensez-vous ? Paul
: (Chante) Amen !
Oh moi comme garagiste, je n'ai rien à dire, je suis au commerce. Tout ce que je peux vous dire, c'est que moi on ne
me ramollira pas, je sais qu'Henriette répondra toujours amen ! Denise
: Vous avez de la
chance, Paul, vous avez trouvé là une femme modèle. Joseph
: (Soupirant) Ah oui,
il a plus de chance que moi. Denise
: Que voulez-vous
dire ? Joseph
: Oh ! Rien, je me
remémorais notre lune de miel, vous n'avez pas changé, vous savez, Denise. Paul
: Comment se
fait-il que vous avez su vivre si vieux, en vous disputant ainsi ? Denise
: Mais nous ne nous
disputons pas, n'est-ce pas, Joseph ... Joseph
: Non, ma Denise (à
Paul). C'est sa manière d'aimer à elle ... Paul
: Ah ! Merci du
renseignement, apprenez monsieur Joseph que je l'ai vue se disputer avec le
laitier ...vous savez ce que cela veut dire, je suppose. Joseph
: Ah... Bien, c'est
du propre ... A votre âge, vous vous permettez de vous disputer avec le laitier
qui est 20 ans plus jeune que vous. Denise : (Prenant la chose au
sérieux) Mais, mais, Joseph ... ( en riant). C'était
une discussion sérieuse, celle-là ; iI ne m'avait pas
rendu mon compte. Paul
: Enfin je
regrette beaucoup d'avoir amené la conversation sur ce sujet, madame Denise,
mais n'est-elle pas venue à propos pour justifier. Joseph
: C'est bon, je vous
crois sur parole, mais à l'avenir, ne recommencez plus. Denise
: Bien monsieur le
juge. Joseph
: Acquitté (Ils
s'embrassent). Paul
: Ha ! Voilà un
bel exemple, on voit bien que ce n'est pas la première fois ... Dommage que je
suis seul à avoir vu ce tableau ... Denise
: J'espère que vous
ne direz rien, Paul! Croyez que nous ne sommes pas des gens qui s'embrassent devant tout le monde. Paul : Tout de même, si votre nièce était là, vous me
permettriez aussi... N'est-ce pas madame Denise ? Et Georges, il ne revient pas
? Qu'est-ce qu'il fait, je ne l'ai plus vu depuis une semaine, c'est une
éternité pour moi Denise
: Denise
: Comment, vous ne
l'avez pas vu tantôt à l'entraînement ? Paul : A l'entraînement? Moi.
.. si...non ...je suis encore tout noir. Joseph
: Vous n'avez pas vu
Georges, alors ? Paul : Si...non ...non ... Il
Y a que je reviens du garage, j'ai dû terminer la voiture ; la vache à Marie de
la courte chemise va donner son veau et le directeur l'attend. Joseph : Attend quoi ? Le veau ? Ou
Marie de la courte chemise ? Denise
: Ou la voiture ? Paul
: Vous n'avez
raison ni l'un ni l'autre; c'est le vétérinaire qui attendait sa voiture pour
aller tirer le veau chez Marie de la courte chemise. Joseph
: Sacré Paul va. (On
frappe, Georges introduit Flora, jeune fille moderne se croyant éduquée et
voulant paraître timide.) Scène 6 Georges
: (Gauche et
s'adressant à ses parents) Voilà !... Papa, maman, je vous présente Flora...
voilà ... Joseph
: Bonsoir,
mademoiselle, vous êtes ici la bienvenue. Flora
: Bonsoir,
monsieur (marmonne), bonsoir, madame. Denise
: Bonsoir,
mademoiselle, je vous en prie, je vous prépare une tasse de café ? Joseph
: Vous avez dû
trouver étrange notre attitude envers vous, Georges vous a sans doute expliqué
ce qui a motivé notre geste. Autrement dit, nous nous sommes inclinés devant
l'amour que Georges a pour vous. Pouvons nous espérer de votre côté que vous
ferez votre possible pour rendre notre fils heureux. Flora
: Je suis
émotionnée, monsieur ... Je ne m'attendais pas à cela ce soir. Mais je puis
vous assurer que je ferai toujours mon possible pour faire le bonheur de Georges,
je pense que ce sera bien facile car moi aussi je l'aime. Georges
: Oh...merci Flora... Paul
: (Sortant de son
mutisme et frappant sur l'épaule de Georges) Et moi, je ne compte plus ? Georges
: Tiens, tu es là ? Joseph
: Bien sûr, si Paul
n'était pas là, la fête ne serait pas complète. Paul
: Je serai
premier témoin (à Flora sérieux) : madame, je tiens à réparer l'erreur commise
par votre fiancé, je dois donc me présenter moi-même : Paul Culasse, garagiste,
fiancé à la nièce de madame, ayant une patte blanche chez les Marmon. Confident de Georges et réclamant en plus le titre
d'ami de mademoiselle Flora... accordé ? Flora
: Accordé d'un
grand cœur, monsieur et ... Georges
: (Coupant) Doucement
vous deux, pas de concurrence hein Paul. Paul
: Mon Dieu! Tu
n'as pas peur de moi, tu sais que je suis sérieux et fiancé. Depuis le temps
que nous nous connaissons. D'ailleurs et puisqu'on est tous réunis, j'en profite
pour vous annoncer une grande nouvelle qui me concerne. Tous
ensemble : Qu'est
ce que c'est ? Paul
: Devinez ! Les
autres se regardent. Paul
: Je me marie le
15 du mois prochain, et je vous invite tous à ma noce (en se tournant vers
Georges et Flora) : J'espère que vous n'attendrez pas trop longtemps pour
m'imiter. Flora
: (Baissant les
yeux) OH nous, nous avons encore le temps. Joseph
: Une chose à la fois
Paul ! Il faudrait d'abord qu'ils se fiancent. Georges
: Mais nous sommes
fiancés maintenant papa ! N'est-ce pas Flora ? Flora
: Moi je le pense
aussi comme ça, Georges Denise
: (Disposant la
table, elle se retourne vers Flora.) Et votre père, lui avez-vous cause ? Flora
: Oh mais papa, je
l'arrange comme je veux, il est toujours d'accord, il s'y attend depuis
longtemps. Joseph
: Ne trouvez-vous pas
madame Flora qu'il serait mieux que vous veniez nous rendre visite le soir,
plutôt que Georges aller chez vous. Cela vous fera échapper à votre solitude et
nous égaiera un peu aussi. Quand pensez-vous, Georges ? Georges
: Puisque vous préférez
que cela soit ainsi, je veux bien moi ! Paul
: Tout comme mon
Henriette amen. (Chanté) Denise
: Allez ! Buvez votre
café et prenez quelques biscuits ! Paul
: Il n'y aurait
pas un petit verre, madame Denise, à l'occasion des fiançailles ? Rideau ACTE
2 Au lever de rideau, la scène est vide. Georges entre par
le fond l, les yeux cernés... Georges : Quel drôle de métier tout de même (ironique). Si
mon père me voyait maintenant...Depuis un an que j'ai quitté la maison, moi, le
fils Marmon, en concubinage avec Flora. Avant... la vie réglée ...les PTI ... la messe du dimanche et
les promenades avec Flora. Maintenant ? L'Atlantic Bar... les nuits fébriles, des sourires
sur commande, toutes les combines des filles et de
leurs gigolos, l'incertain du pourboire ; ce fut dur au
commencement, mais
pour Flora...
Que ne ferais-je
pas...Après tout, je
ne suis pas plus
mal ainsi ... cette
façon de vivre vaut bien l'autre. (Flora entre par la porte de côté en peignoir). Flora : Bonjour mon loup (un baiser discret). Georges : Bonjour
ma chérie. Flora : (Elle
va près de la table et compte l'argent, faisant la moue).hm, hm ...Ce n'est pas
mal... Mais comment se fait-il que Rudy en fait plus que toi ? Il est pourtant serveur
comme toi ... Georges : Je
ne sais pas moi, il est plus ancien, il a peut-être des ficelles que je ne connais
pas. Flora : Ah
oui, pour toi, c'est toujours bon. Qu'est-ce que ça peut te faire si je n'ai
rien à me mettre cet hiver ? Georges : Mais
que veux-tu que je fasse d'autre ma chérie. Je te rends tout ce que je gagne
et... Flora : (Coupant)
Oui, je sais, mais l'amie de Rudy a un si beau manteau de fourrure. Georges : Combien
? Flora : Ah,
trop pour toi ! Georges : Combien
te dis-je ? Flora : 5000
! Georges : En
effet, c'est salé ! Flora : Tu
vois, je te l'avais dit... (Un soupir). Si tu n'étais pas si, si... Georges : Si
? Flora : Si
tu étais plus débrouillard, enfin ! Georges : Et
bien quoi si j'étais plus débrouillard ? Flora : Tu
t'arrangerais pour les avoir les 5000 francs et ta petite Flora serait contente. Georges : Où
veux-tu que je les trouve ces 5000 francs ? Flora : (Boudeuse).
C'est bon, n'en causons plus, comme toujours, je ferai avec ce que j'ai. C'est
bien toi. Georges : Tu
devrais comprendre Flora qu'il m'est impossible d'acheter cela. Mes moyens ne
me permettent pas de faire telle folie. Flora : Mais ce n'est pas une folie, j'en ai besoin Georges : Pour
quoi faire? Je me le demande. Tu as celui de l'année dernière qui est encore
très beau et... en l'arrangeant un peu il sera comme nouveau. Flora : Tu
ne voudrais quand même pas que je me mette à découdre et recoudre mon vieux
manteau. Non ! Georges : Pourquoi
pas ? Tu as le temps ... Flora : Tu
devrais être fière d'avoir une femme qui aime les toilettes, sur qui les passants
se retournent quand elle les croise. Georges : Oui,
fière, parlons-en ... Flora : Alors
Georges, vais-je l'avoir mon manteau, oui ou non ? Georges : Flora,
je te répète qu'il m'est impossible de trouver assez d'argent pour t'offrir ça. Flora : Oh
! Tu n'es pas si bête, si tu voulais te débrouiller, mais tu ne veux pas, monsieur
veut faire la contradiction. Georges : Assez...Tu
ne l'auras pas... Et c'est tout... Flora : Oh
Georges ! Sois gentil, ne sois pas si brut, les hommes lorsqu'ils veulent se montrer
forts, ils crient. Georges : Et
les femmes, elles se font câlines. Flora : Oh
pourquoi dis-tu cela ? Tu sais que je t'aime mon chéri. Georges : Oui,
je le sais. Flora : Et
mon manteau, chéri, tu ne dis rien. Georges : Tu
vois toi-même que c'est impossible. Flora
: Pourtant j'en voudrais un ; il est si beau
... Quant à arranger le mien, je ne saurais pas,
je ne suis
pas couturière. Georges
: Et bien tu t'en
passeras ! Flora : Je
m'en passerai, c'est ce que nous allons voir, je te dis que j'aurai un manteau et
j'en aurai un d'ailleurs. Si je n'en ai pas, je ne pourrai plus sortir avec madame
Marmon. Je chercherai à me débrouiller, avec un autre,
je serai de meilleur ton. Tu comprends ce que je veux dire, je suppose. Georges : (Se levant). Explique-toi. Je ne comprends pas les
choses que tu laisses sous-entendre. Flora : Je
partirai voilà tout. J'aurai bien tort de me faire de la peine pour un manteau que
tu ne sais pas... Que tu ne veux pas m'acheter. En m'adressant à un autre, j'aurai
ça sans peine. Georges : Flora...
Tu ne vas pas faire ça... Tu ne vas pas partir ... Me laisser seul ici... Tu ne
te rends pas compte de ce que sera ma vie sans toi. Flora, ma chérie, je te
jure que je ferai l'impossible pour te l'acheter ton manteau ... Flora : Mais
tu n'as pas d'argent ! Georges : Oh ! Je me débrouillerai ou du moins, j'essaierai. Flora : Mais ce sont des promesses ça, Georges. Georges : Je te
dis Flora que tu auras ce manteau, je travaillerai plus, j'arriverai à augmenter
mes pourboires, je prendrai quelques francs de plus à chaque client, tu verras
je chercherai des combines, des ficelles, tu seras contente. Flora, nos revenus
seront meilleurs et tu auras ce que tu désires. (On frappe). Flora : Tiens quelqu'un maintenant ? J'y vais comme
cela, Georges ? Georges : Non, non, j'y vais moi-même. Nom d'un chien ... c'est
Paul, comment vas-tu mon pote ? Flora : Paul ! Alors, je peux rester. Scène
1 Paul : Bonjour mon vieux Georges. Bonjour made ...
bonjour made ... après tout, bonjour Flora. Flora : Bonjour Paul, comment allez-vous? Mais je
vous en prie asseyez-vous, vous prendrez bien un verre de Porto ? Paul : Oui, merci. .. Oh pour moi, ça gaze
toujours. Georges : C'est à toi cette belle bagnole-là ? Paul : Oui, je vais la vendre, tu n'en es pas
amateur ? Georges : Que veux-tu que je fasse de ça ? Flora : Si on l'avait, je m'en servirais bien moi
... Paul : Bon, ce n'est pas pour vous vendre une
voiture que je suis venu. Georges : Qu'est-ce qui t'amène alors ? Paul : Voilà
! Georges, tu ne fais pas bien, il y a très longtemps que tes parents n'ont plus
de tes nouvelles. Ils s'inquiètent les pauvres vieux. Tu dois bien comprendre
leur état d'esprit. Ton père était bien fâché lorsque tu es venu ici. Mais tu
es quand même son fils, il y a longtemps que tu es pardonné. De plus, depuis 8
jours ta mère est malade ... Très malade. Elle te demande près d'elle. Pourquoi
n'y vas-tu pas ? Ou bien écris-leur. Henriette y allait souvent leur montrer
notre bébé, mais maintenant, elle s'en abstient car chaque fois ton père ne
pouvait s'empêcher de comparer mon ménage avec le tien. Flora : Chacun
vit à sa manière monsieur Paul, et Georges ne se plaint pas de son existence
ici. Les vieux eux ont vécu, à nous de vivre maintenant. N'est-ce pas, Georges ? Georges : Oui, tu
as raison Flora. Paul lui est encore de là-bas, il ne s'est pas modernisé. Il
ne se rend pas compte de ce que peut être la vie en ville. Paul : Moi pas moderne? Mais si moderne mais pas
comme vous l'êtes. Flora : Allons, assez Paul, Georges et moi nous
sommes heureux ici et nous y restons Paul : Et alors Georges ? Georges : (Sans réponse). Paul : C'est
bien, j'ai compris, je pars mais avant de m'en aller, je tiens à te dire que le
plaisir et l'amour ne sont pas tout dans la vie. Tu ne penses pas à tes devoirs,
Georges, tu en as pourtant comme moi, tu les écartes, tu ne veux pas les voir.
Tu tombes Georges, et bien bas, il est grand temps que tu te ressaisisses. Au
revoir Georges ... adieu madame. (II sort). Scène
2 Flora : (Moqueuse).
Adieu révérend Paul. Georges : Il
n'a pas encore changé, hein, ce vieux Paul. Tais-toi Flora. Laisse-le,
laisse-le vivre comme il veut. Flora : Bien,
qu'il nous laisse en paix alors, nous ne savons que faire de ses sermons. Georges : Le résultat ? Me voilà brouillé avec Paul... Bah, un de plus, un
de moins ... pour ce qu'il me rapporte ... (On frappe). Flora : Tiens,
encore ? Georges : (II
va ouvrir). Ah, c'est Rudy. Entre Rudy Scène
3 Rudy : Salut. Flora : Bonjour,
Rudy. Vous n'avez pas besoin de moi je suppose. J'en ai pour un instant. (Elle
sort) Scène 4 Rudy : Mon
vieux, j'ai à te parler sérieusement. J'ai un coup à faire. Mon type se débine
et j'ai besoin de toi. Ca ne durera qu'un quart d'heure. Et ça nous fait 20000
francs à chacun. Georges : Mais pourquoi as-tu besoin de moi ? Rudy : Ne t'occupe pas de ça maintenant. Tu conduis
la bagnole, tu t'arrêtes, tu m'attends, tu me ramènes, c'est tout. Georges : Et c'est tout de suite ? Tu veux que ... Rudy : Assez, tu viens ! Ne fais pas l'andouille.
Nous n'avons pas de temps à perdre. Georges : Mais !! Rudy : Allons, viens ! Scène
5 Flora : (Flora entre). Où vas-tu maintenant ? Tu
m'as l'air bien nerveux. Georges : Je sors un instant avec Rudy. Flora : A tantôt. Scène
6 Flora : (Seule).
Mais où sont- ils allés maintenant ? Il avait l'air bien nerveux. Sûrement
qu'il va se passer quelque chose. De quel côté sont-ils partis ? Il est peut-être
encore temps pour les voir partir. {Elle court vers la fenêtre).Ah ! C'est la
bagnole de Rudy. Les voilà qui sortent. Quel démarrage. Mais où vont-ils ? (Elle
fait mine de revenir sur la scène puis retourne de nouveau à la fenêtre). Les voilà
déjà arrêtés. C'est au café du commerce. Etrange, il n'y a que Rudy qui
descend. Il avait sans doute un rendez-vous, drôle d'heure pour un rendez-vous.
(Elle reste un moment à la fenêtre, bruits de pas dans les coulisses, un
catalogue est passé en-dessous de la porte, elle se retourne et l'aperçoit.
C'est le courrier, elle va prendre doucement les papiers, les
feuillette, les dépose sur la table et retourne à la fenêtre). Mais que font-ils, Ils sont déjà
partis. Bah! (Elle revient sur la scène, allume une cigarette, s'assied et
reprend le catalogue). Ah
! Voyons ce qu'il me faut pour cet hiver. Des dessous, des robes, des tricots.
Voici un beau modèle. Elle fut bien réussie cette farce du tricot, il ya de
cela plus d'un an lorsque j'ai glissé le chausson de ma petite nièce dans la poche
de Georges. Je n'aurais jamais pensé que cela se serait arrangé si vite. Je
peux me vanter d'avoir conduit mon destin, ce que je veux je l'ai et je l'ai bien
... J'ai voulu Georges et je l'ai eu, j'ai voulu habiter en ville et j'y suis,
je n'aurais jamais pu rester dans ce trou de Grigembois.
Ici, tous les plaisirs, la mode, beaucoup plus d'argent et aussi plus de moyens
d'en avoir. Ah ! L'argent ... L'argent ... Si Georges voulait
.. Mais il voudra ... Je le ferai changer, d'ailleurs je m'arrangerai
pour lui trouver des amis qui le dégourdiront, je serai riche puisque je le
veux. A moi tous les plaisirs, les ivresses des toilettes, adulée par les
hommes, enviée par les femmes, j'éblouirai la ville de mon luxe et de mes
folies. (Un temps). J'emmènerai Georges au restaurant. Scène 7 Rudy : Tiens
Flora, je te le ramène ! Flora : Il a l'air tout secoué mon Georges, d'où venez-vous
? Rudy : Un
beau coup, ma fois, hein Georges ... Georges : Oui,
oui. Flora : Comment
ça un beau coup ? Rudy : Georges
va te l'expliquer. Georges : Oh
non ! Raconte toi-même ! Rudy : Sacré
couillon. T'es pourtant pas de la rousse toi Flora,
qu'il a peur de te causer ! Flora : Je
comprends de moins en moins. Rudy : Rien
de compliqué ! Je suis venu chercher Georges, mon pote m'avait fait faux bond,
Georges a pris le volant, il attendu en face du café du commerce, je suis entré
commander un Picon sur le zinc, j'ai raflé les billets et je suis remonté en bagnole
et me voilà. Flora : Quels
billets ? Rudy : Tu
comprends Flora, j'avais une combine, deux types devaient faire une affaire, je
le savais, j'étais là, au moment du paiement, j'ai bousculé le client, j'ai
emporté l'argent et j'ai mis les voiles avec Georges. T'as compris ? Flora : Pas
possible ! Et ça vous fait combien ? Rudy : En
comptant les billets, chacun 20000 francs. Tiens, Georges. Georges : Prends-les
Flora, moi, je n'en ai pas besoin, c'est pour toi que j'ai fait ça. Rudy : Tu
vois, Georges, simple comme bonjour, tu as du sang froid, je te retiens pour la
prochaine. Georges : On
verra ! Rudy : Allez,
au revoir, salut. Scène 8 Flora : Georges...
Georges, tout cet argent pour moi ? Georges : Mais
oui ...Prends tout, pour qui veux-tu que ce soit d'autre, ma petite Flora ? Tu
es tout pour moi, je n'ai plus que toi maintenant, pour toi j'ai laissé mes vieux,
pour toi j'ai fait fi de mon avenir, pour toi j'ai tout abandonné et tantôt pour
toi j'ai volé ! D'employé des postes, je suis devenu serveur de bar. Maintenant
je suis voleur et plus tard peut-être, si tu le veux, assassin. Rien n'arrêtera
ma déchéance ! Pourvu que je puisse t'aimer. Flora : Mais
je t'aime aussi mon Georges ! Georges : Non,
ce n'est pas vrai, ne ment plus Flora ; avant, j'y croyais mais depuis que nous
vivons ensemble, j'ai vu comment tu m'aimais. (On frappe à la porte). (Sans entendre) : ne dis rien Flora, pour moi
je ne désire qu'une chose, pouvoir t'aimer, te servir, t'adorer ... OH mon
idole ! (ils s'embrassent). (On frappe de nouveau). Une
voix dans les coulisses crie : Ouvrez, police. Rideau Acte
3 La scène représente la salle de
tribunal de première instance. Au lever de rideau, la salle est vide. Un gendarme s'avance et s'adresse au public: « Messieurs, la cour. » Entrent par la droite et à la file Premier le juge, deuxième le
procureur, troisième le greffier portant des dossiers sous le bras. Le greffier : (Ouvrant
ses dossiers) Affaire Culasse Le juge : (S'adressant
au gendarme) : faites entrer le plaignant. Le
gendarme sort et rentre avec Paul qui prend place. Le juge : Je
jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité (à Paul) : Levez la
main droite et dites comme moi. Levez-vous ! Paul : En
regardant le Christ, il répète « Je jure ... » Le juge : Vous
êtes bien monsieur Paul Culasse; né à Grigembois le
14 avril 1918, actuellement marié,
domicilié à Grigembois, et y exerçant la profession
de garagiste. Paul : Oui,
monsieur Le juge : Appelez-moi
mon président ! Vous avez déposé plainte contre inconnu le 25 août 1942 à la
suite d'un vol commis à votre préjudice le jour susdit. Vol qui eut lieu au
café du Commerce situé rue Malenpin et tenu par
monsieur Players. Vol par lequel vous êtes lésé de
40000 francs. Paul : Oui
mon président. Le juge : D'après
l'enquête menée par monsieur Maigret commissaire de police, nous avons arrêté
le jour même les coupables. (Se tournant vers le greffier) : est-ce juste ? Greffier : Je
vous demande pardon mon président, vous avez dit les coupables. Je me permets
de vous faire remarquer qu'il n'y en a qu'un. Le juge : Nous
savons. Il y avait 2 coupables, mais l'un, Rudy Craessens
est parvenu à passer la frontière. Monsieur Culasse, voulez-vous conter les
faits en quelques mots. (Au greffier) : Veuillez, s'il y a lieu, faire les
corrections au rapport. Paul : Voilà
mon président. J'avais ce jour- là, rendez-vous avec un client au café du Commerce.
Je devais lui fournir une voiture d'occasion. Nous avions convenu du paiement
comptant. Nous étions tous deux à table près de la fenêtre. Au moment de
vérifier la somme de 40000 francs que mon client venait de me remettre, je tire
mon portefeuille de ma poche, un homme qui jusque là était resté au comptoir
s'est élancé à travers la salle en criant. Il nous a bousculés et prestement
m'a enlevé les billets des mains. A peine revenus de notre émoi, nous nous
sommes mis à sa poursuite, nous sommes arrivés dans la rue juste pour le voir
monter en voiture. J'ai pu relever le numéro de la plaque et je suis allé
directement au commissariat déposer plainte. Le juge : (Au
greffier) : Avez-vous la déposition des témoins ? Greffier : Oui
mon président (II lui passe quelques papiers) : les voici. Le juge : (Lisant)
... D'après l'enquête, il est avéré que votre client, monsieur Champin, n'a aucune complicité dans l'affaire. Procureur : C'est
d'après l'étude du dossier que nous avons jugé inutile de convoquer monsieur Champin ainsi que les autres témoins qui se trouvaient dans
le café. Toutes
leurs dépositions sont d'ailleurs à votre disposition. Le juge : (Refermant
les dossiers) En effet, merci, nous avons constaté, faisons-nous comparaître
l'accusé ? (le procureur acquiesce) (au gendarme) : faites entrer le prévenu.
(Georges entre accompagné du gendarme, par la porte de droite, il se place
entre Georges et Paul). Paul : (au
juge) Lui... lui ... ! (A Georges) : C'est toi ... Greffier : (Frappant
sur son pupitre et agitant la sonnette) Silence ! Juge : Je jure de dire la
vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Dites comme ceci et levez la main
droite. Georges : (Même
jeu) Procureur : Permettez-vous,
mon président, que je pose une question au prévenu ? Juge : Oui... Procureur : (A
Georges) : L'exclamation que le plaignant a jetée lorsque vous êtes entré vous
était adressée ? Georges : Oui,
monsieur ! Procureur : Existe-t-il,
entre vous deux des liens de parenté, si pas êtes-vous amis et jusqu'à quel
point ? Georges : Nous
sommes ... Nous avons été amis ... Paul : Nous
sommes .... Le juge : Taisez-vous,
vous ne devez répondre que lorsque vous serez interrogé (A Georges) : vous êtes
bien monsieur Georges Marmon né à Grigembois
le 28 septembre 1915, actuellement domicilié à Rinnar
et y exerçant la profession de serveur à l'Atlantic Bar. Georges : Oui
monsieur. Le juge : Appelez-moi
mon président ! Vous cohabitez pour le moment avec mademoiselle Flora Drosse
également de Grigembois et âgée de 21 ans. Georges : Oui
mon président. Juge : (Au
greffier) Veuillez nous lire l'acte d'accusation à charge de monsieur Georges Marmon. Greffier : (Se
levant et lisant) Nous, procureur du roi au tribunal de première instance, siégeant
à Pirmer, accusons monsieur Georges Marmon d'avoir, le 25 août 1942 à 11 heures du matin, avec
la complicité de monsieur Rudy Craessens, commis au
café du commerce, situé sur le territoire de Pirmer
et au préjudice de monsieur Paul Culasse un vol de 40000 francs. Le juge : Accusé,
levez-vous ! Reconnaissez-vous les faits cités à votre charge ? Georges : Oui,
mon président. Le juge : Attendu
que le prévenu reconnaît les faits cités à sa charge, nous appliquons l'article
148 du code 89. Procureur : Je
ferai remarquer à la cour, que le prévenu est passible d'une peine dépassant
celle prévue par l'article 148 du code 89.Attendu que nous prouverons par
l'audition du témoin cité par nous et par l'interrogatoire du plaignant la
préméditation et le plein gré de l'accusé. Paul : Mon
président ... Greffier : Silence... Procureur : (Cause
à l'oreille du juge). Juge : (A
Paul) Levez-vous ! Que vouliez-vous dire ? Paul : Je
voulais vous demander l'autorisation de retirer ma plainte. Le juge : La
loi ne permet pas une telle chose quand les débats ont déjà commencé. Procureur : Quelles
sont les raisons qui vous poussent à vouloir vous désister de vos droits ? Paul : Mon
président, je connais Georges depuis très longtemps et je sais que par lui-même
il est incapable de manigancer et de commettre une pareille chose. Surtout à
moi qui suis son ami. Le juge : (A
part) Tiens tiens ... Procureur : Vous
vous trompez monsieur Culasse, l'accusé a avoué lui-même. Le juge : En
effet. Paul : Mais
mon président, si Georges avait su que c'était moi ... Greffier : (Agitant
la sonnette) Silence... Procureur : Je
fais remarquer à la cour qu'il ne se peut pas que le plaignant prenne la défense
de l'accusé. Le juge : (Acquiesce
à Paul) Asseyez-vous ! Procureur : Je
vous ai dit être en mesure de prouver la préméditation de l'accusé, je le fais,
monsieur Culasse, dites à la cour où vous êtes allé avant de vous rendre au
Café du Commerce. Paul : (Embarrassé)
: Chez Georges ! Procureur : Avez-vous
dit à l'accusé, ou lui avez-vous laissé deviner le genre d'affaire que vous
alliez traiter ? Paul : J'ai
dit simplement devant lui que j'allais vendre une voiture sans citer même un
nom. Procureur : Etiez-vous
seul lors de votre entrevue avec l'accusé ? Paul : Non,
sa femme ... Ou plutôt mademoiselle Drosse était là. Procureur : Je
demande à la cour de conclure. Le juge : (A
Georges) : Levez-vous ! Reconnaissez-vous les faits ? Georges : Oui
mon président. Le juge : Vous
avouez donc que c'est suite à la visite que vous a rendue monsieur Culasse que
vous avez prévu et combiné votre rôle. Georges : Non
mon président, je jure qu'à ce moment je n'y songeais pas. Procureur : Ce
sont les paroles de votre ami qui vous ont tout de même poussé au vol. Georges : Non
monsieur, un ami, par la suite, est venu me chercher et lui seul était au courant
de ce que nous allions faire. Le juge : Vous
avez donc accepté de le suivre, sans savoir où il vous menait ? Georges : J'ai
fait ce qu'il m'a dit. Procureur : Mais
vous avez reçu pour cela combien ? Georges : 20000
francs. Procureur : Etes-vous
édifié maintenant mon président ? Le juge : La
préméditation n'est pas établie. Procureur : Nous
en apporterons les preuves si la cour permet l'audition du témoin que nous
avons convoqué. Le juge : (Au
greffier) : Veuillez nous citer les qualités de ce témoin. Greffier : (Se
levant et lisant) : Mademoiselle Flora Drosse née le 3 janvier 1920 à Grigembois, domiciliée à Pirmer,
sans profession. Le juge : Ce
témoin n'est-elle pas la personne cohabitant avec le prévenu ? Procureur : En
effet, mais la loi ne prévoit pas d'interdiction à sa déposition. Le juge : (Au
gendarme) : Faites entrer le témoin. (Le gendarme sort et rentre aussitôt avec
Flora). Le juge : Je
jure de dire toute la vérité ..... Levez la main droite et dites je le jure. Flora : Je
le jure. Le juge : Vous
êtes bien mademoiselle Flora Drosse née le 3 janvier 1920 à Grigembois
et domiciliée à Pirmer ? Flora : Oui. Le juge : Dites-nous
les faits dont vous avez été témoin à votre domicile le 25 août 1942 à 10 h du
matin. Flora : J'étais
seule avec mon ami, lorsque Rudy Craessens est entré. Procureur : Permettez-vous
une remarque mon président ? Le juge : Dites
! Procureur : Mademoiselle,
veuillez, je vous prie, citer les faits et surtout répétez-nous les paroles qui
ont été prononcées lors de la visite que vous a faite monsieur Paul Culasse. Flora : Je
pensais que ce que monsieur Culasse nous avait dit ne se rapportait pas à l'affaire. Procureur : Au
contraire, vous vous trompez mademoiselle ! Flora : C'est
que ... C'est un peu ... intime. Le juge : Vous
n'êtes pas ici pour faire des réticences. Flora : Monsieur
Culasse était venu prier mon ami de se rendre auprès de sa mère malade. Procureur : Cela
n'a aucun rapport avec l'affaire, mais monsieur Culasse a tantôt dit autre chose,
avant ou après votre conversation relative à l'état de santé de la mère de
l'accusé. Rappelez-vous et dites-nous sans rien omettre ce que monsieur Culasse
a dit. Flora : Je
me souviens, simplement ceci : il allait vendre une voiture. Procureur : La
cour doit conclure. Le juge : Continuez,
je vous prie, au moment de l'arrivée de monsieur Craessens. Flora : Je
n'ai pas entendu la conversation, mais à mon retour, mon ami m'a annoncé avoir
été entraîné par Rudy. Le juge : C'est
bien ... Accusé, levez-vous ! Reconnaissez-vous les faits ? Georges : Oui
mon président. Le juge : La
parole est à la défense. Procureur : L'accusé
n'a accepté aucun concours. Il a toujours prétendu pouvoir plaider lui-même. Il
demande donc la parole. Le juge : Soit.
Levez-vous, vous avez la parole. Georges : Mon
président, voici ... Depuis un mois que je suis en prison, j'ai eu le temps de préparer
ma plaidoirie et de méditer ma défense. Je fus élevé par des parents dignes et
honnêtes, dans une atmosphère de loyauté et de probité. Mais mon éducation fut,
si je puis m'exprimer ainsi, trop bonne, trop remplie de mansuétude, pour le
caractère maniable que je possède. Loin de moi l'idée de rejeter sur mes vieux
les fautes qui m'incombent, j'ai durant ma prison préventive, appris la mort de
ma vieille mère, cela m'a amené à revoir ce qu'ils étaient pour moi, et j'ai
ainsi compris combien je m'étais dupé moi-même en voulant chercher le bonheur contraire
aux principes que mes parents m'avaient enseignés. Procureur : (Au
juge) : Je demande pardon, je vous ferai remarquer qu'il met expressément en
vedette la mort de sa mère afin de vous apitoyer. Le juge : Cette
remarque vous est tout à fait personnelle. (A Georges) : Veuillez continuer. Georges : Mon
enfance fut sans cahot, sans heurt ! Procureur : Je
pense que la cour est instruite sur vos antécédents. Le juge : En
effet, son casier judiciaire est vierge. Continuez, Georges. Georges : Après
mon école, mon père me chercha une place aux P.T.T. J'avais très bien réussi
mes examens, je fus admis de suite. Procureur : Rien
n'est plus facile à quelqu'un que d'enjoliver son passé. Le juge : Continuez,
Georges. Georges : J'ai
voulu mettre la cour dans l'ambiance de ma jeunesse pour qu'elle comprenne ce
qui va suivre. Le juge : Parfaitement,
continuez ! Georges : Un
soir par hasard, je rencontrai l'amour; je fis la connaissance d'une jeune fille
qui changea le cours de mon existence; mes manières, mes façons de penser, de
raisonner, de juger, tout cela changeait aussitôt. Vous rendez-vous compte, mon
président, j'aimais pour la première fois. Vous ne sauriez comprendre comment
j'aimais, mon Président. Je dus soutenir des luttes pour la faire agréer,
maintes fois, je me jurais de passer outre au refus de mes parents et toujours
... toujours, il y avait ce respect que je leur devais. Procureur : Avez-vous
l'intention de nous développer un roman d'amour ? Le juge : Nous
avons donné la parole à la défense. Il établit des circonstances atténuantes et
nous jugeons à propos de le laisser continuer. Georges : Enfin
un beau jour, elle fut acceptée chez moi. Elle fit bonne impression chez mes
parents. Ah ! Elle était fine. D'accord avec mes parents, je lui parlai aussitôt
mariage, mais elle m'ensorcela si bien que je quittai tout pour la suivre, ici
en ville où elle me conduisait à sa manière, j'étais son esclave, je ne me
rendais pas compte que je m'enfonçais, que je m'enlisais dans la boue qui l'entourait,
je n'avais qu'une seule excuse, c'était de l'aimer. Mais maintenant mon
Président j'ai compris, mon amour n'était rien pour elle. Ce qu'elle voulait...un
esclave à dominer, un homme qui la serve ... Je termine ici ma plaidoirie mon
Président... Je voulais vous montrer les détails pour mieux vous prouver que le
coupable ...le vrai coupable ...c'est elle. Flora : (Se
levant) : Et bien oui, Georges, tu as raison, tu vois juste. Je voulais te voir
à mes pieds. Mais maintenant, je t'aime, Georges, toi, tu sais ce que c'est que
d'aimer, tu dois me comprendre. Après tout ce que tu as fait pour moi, je me suis
vue si laide, si horrible devant toi, que mon masque est tombé. Je te le dis,
je te demande humblement pardon ! Pardonne-moi, Georges ! Pour qu'à mon tour je
puisse te servir. Greffier : Silence... Flora : N'importe
Georges si tu ne m'aimes plus. J'obéirai à tous tes désirs, à tes ordres.
Georges, Georges, je t'en supplie, ne m'accuse plus. Greffier : (Agitant
la sonnette). Silence ... Procureur : (A
Georges) : Résumons : vous objectez une responsabilité morale et vous accablez
un témoin. Monsieur, ignorez-vous à ce point la loi que vous confondez témoin
ou accusé. Georges : Je
ne confonds pas monsieur le procureur. Je la prends à témoin de la véracité des
arguments de ma défense. Procureur : Mais
ce n'est pas une défense, c'est une accusation. Le juge : Il
appartient à la cour de juger. (Faisant un signe au greffier, il se lève et prononce
le jugement en compulsant de temps en temps ses livres). Nous,
juges au tribunal de première instance, siégeant à Pirmer
le 25 septembre 1942, proclamons après jugement rendu dans l'affaire Culasse
que le nommé Rudy Craessens né le 4 février 1910,
sujet suisse, est le principal coupable pour le vol commis au café du Commerce
le 25 août 1942 au préjudice de monsieur Paul Culasse, le condamnons par défaut
à un an d'emprisonnement avec à sa charge les frais de justice, plus une amende
de 8000 francs. Cette somme répartie entre : l° Rudy Craessens,
2° son complice Georges Marmon. En vertu du code 69
et attendu que l'article 148 du même code nous y autorise, nous condamnons
Georges Marmon à un an d'emprisonnement. Attendu que
le code 94 nous permet de faire bénéficier l'inculpé de circonstances
atténuantes, attendu les bons antécédents du prévenu et après avoir entendu la
défense faite par monsieur Georges Marmon, nous
réduisons sa peine d'emprisonnement de 1 ans à 3 mois. Nous le déchargeons des
frais de justice à sa charge. D'après le code 640, et après avoir pris connaissance
de l'arrêté se rapportant à l'article 42 du code susdit, nous autorisons à
mettre si la cause l'exige, un mandat d'arrêt à charge d'un témoin présent à
l'audience. Usant du droit que l'article ministériel au code 640 et à l'article
42 nous confère, nous émettons un mandat d'arrêt à charge de mademoiselle Flora
et nous donnons l'ordre d'exécuter le dit mandat sur le champ. Attendu
qu'il incombe au témoin mademoiselle Flora Erasse une
responsabilité morale, attendu qu'au moment de l'arrestation de monsieur Georges
Marmon, Mademoiselle Flora Erasse
avait en sa possession la somme volée
par monsieur Rudy Craessens et partagée entre eux
deux, nous l'accusons de recel et la condamnons à un mois d'emprisonnement avec
à sa charge la moitié des frais de justice incombant à Rudy Craessens,
plus le remboursement de la somme volée par celui-ci. Attendu que le code 285
nous autorise à user de notre pouvoir de jugement, quant au recel, s'ajoute une
responsabilité plus grave, nous commutons la peine de un mois de prison à un an
d'emprisonnement à charge de Flora Erasse. Nous
déclarons le jugement clos. (La
cour sort lentement par la gauche). Flora : (Pleurant)
: Oh Georges, Georges, qu'as-tu fait ? Georges : Ne
vous plaignez pas d'un juste retour des choses, Flora ... Paul : Georges,
cette fois, je t'admire, et crois-moi, la vie n'est ni dans le plaisir, ni dans
les bars de nuit. Georges : Tu
as raison mon vieux Paul, mes yeux se sont ouverts. J'ai compris, maintenant,
je suivrai ton exemple et nous resterons grands amis. Rideau |