Maison du Souvenir

Le Belge le plus décoré de la Seconde guerre mondiale fut le docteur Albert Guérisse, chef de réseau.

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Le Belge le plus décoré de la Seconde guerre mondiale fut le docteur Albert Guérisse, chef de réseau.



Docteur Albert Guérisse

       Albert Guérisse est né de parents ardennais (Saint-Hubert) à Molenbeek en 1911. Etudiant en médecine à Louvain, il se fait remarquer en démolissant à plusieurs reprises la balustrade qu’avait fait mettre le recteur sur la façade de la bibliothèque pour cacher une inscription évoquant « la fureur teutonique »  responsable, en août 1914, de sa destruction. Finalement expulsé de Louvain, Albert Guérisse va achever ses études de médecine à l’ULB. Le 10 mai 1940, il exerce comme médecin militaire de carrière au 1er Régiment de Lanciers à Spa. Le 28 mai, la capitulation est annoncée mais le jeune médecin décide de continuer la lutte. Il se dirige alors vers la côte belge, s’embarque vers l’Angleterre d’où il rejoint la France, à Sète, au bord de la Méditerranée.

Albert Guérisse en mission secrète sur le H.M.S. Fidelity, est fait prisonnier

       Albert Guérisse se retrouve finalement sur un bateau français le « Rhône » qui ayant déjà effectué plusieurs missions secrètes rejoint l’Angleterre. L’équipage se met au service de l’Intelligence Service et, sous le pavillon britannique, devient le « H.M.S. Fidelity ».



Le HM S Fidelity

       Le 30 décembre 1942, anonyme dans un grand convoi (ONS 154) qui fait route vers Colombo, puis est destiné à l’Extrême-Orient, le HMS Fidelity est attaqué et coulé à 16h30, par le sous-marin U 435 (cpt Siegfried Strelow) dans le nord des Açores par 43 23 N 27 07 W. Son équipage était alors de 280 « marins » plus 51 « commandos de Marine » et 4 auxiliaires. En plus il avait à son bord 44 survivants du torpillage du « Empire Shackleton ». Les bilans diffèrent suivant les sources, les historiens s'accordent sur 379 morts et disparus et 10 survivants. Le destin épargna le Dr Guérisse qui, heureusement ne faisait plus partie de l’équipage depuis avril 1941.

       Le navire sert à débarquer des agents en France et à les rapatrier si nécessaire en Angleterre. Albert Guérisse va faire partie de l’équipage sous le nom de Pat O’Leary. Il est nommé Lieutenant Commander de la Royal Navy. On lui donne une fausse nationalité canadienne qui expliquera sa faible connaissance de l’anglais tout en cachant sa nationalité belge. Chargé d’une mission ultrasecrète : embarquer 12 officiers polonais cachés par la résistance française à Collioure, Pat O’Leary et deux compagnons quittent le HMS Fidelity en canot et rejoignent le petit port. Les Polonais sont en retard, le canot attire l’attention des autorités portuaires qui préviennent la gendarmerie. Le canot est rapidement arraisonnés par une vedette de la gendarmerie et ses trois occupants sont arrêtés puis transférés dans la prison de Saint-Hippolyte-du-Fort dans le Gard.

       Durant sa détention, Pat O’Leary prépara avec minutie son évasion. Il s’arrangea pour fabriquer une clé permettant de pénétrer dans un petit local dont la fenêtre donnait sur le chemin de ronde. Puis, avec l’aide de ses amis fit scier patiemment un des barreaux de la fenêtre. Quand enfin vint l’heure de s’évader, deux douzaines de prisonniers organisèrent une fausse tentative d’évasion dans la cour afin de faire diversion et d’attirer en cet endroit tous les gardes. Pat O’Leary ayant retrouvé sa liberté trouva un premier abri dans une maison de retraite tenue par des religieuses. La Mère Supérieure le cacha dans une malle du grenier qui contenait de vieux habits sacerdotaux. Après que les gendarmes aient interrogé la Mère Supérieure, la religieuse vint rechercher Pat et le fit échapper par un souterrain qui servait autrefois à rentrer les récoltes de la vigne. Peu après, à Marseille, Pat rentra en contact avec Yan (s’écrit aussi Ian) Garrow, un Ecossais qui organisait des passages d’aviateurs alliés vers l’Angleterre via Gibraltar.



Yan Garrow

       Yan Garrow était un survivant du 51e Highland qui, après Dunkerque, avait continué sur la Somme, à St-Valery, une résistance désespérée. Yan demanda à Pat de rester à Marseille pour le seconder. Celui-ci accepta, sous condition que l’amirauté acceptât cette nouvelle mission et fut hébergé provisoirement par le Dr Rodocanachi. Yan Garrow envoya la demande destinée à l’amirauté britannique par radio. Il fallut attendre pendant une semaine la réponse positive convenue émise sur la B.B.C de Londres « Adolphe doit rester ». Pat O’Leary fut doté d’une nouvelle carte d’identité au nom de « Joseph cartier ». Sa première mission consista à convoyer de Marseille à Port-Vendres, via le train, le sergent pilote Philip Herbert. Port-Vendres était situé à la frontière espagnole. Dans cette localité, le jeune pilote fut confié à un guide pour franchir les Pyrénées.

       A partir d’août 41, Pat O’Leary organise aussi des évasions (plus de 50 !) à partir de la prison de St-Hippolyte du fort.

       De juillet à octobre 41, c’est 75 militaires alliés qui parviennent à franchir les Pyrénées dont le Belge Alex Nitelet, de la 609e escadrille belge de la R.A.F.  Alex Nitelet avait reçu une rafale de mitrailleuse qui avait crevé un de ses yeux. Il était parvenu à atterrir dans le nord, près de Fauquenbergues. Finalement, il fut confié au réseau d’évasion de Yan Garrow via un de ses membres, l’abbé Carpentier d’Abbeville.

Un évadé célèbre : Whitney Straight



Whitney Straight

       Un évadé célèbre fut l’aviateur Whitney Straight

       Cet homme d’origine américaine avait été, durant de nombreuses années, champion de courses automobiles. Il était aussi l’inventeur d’un avion qui porte son nom. Pendant la guerre, engagé comme pilote de la R.A.F., il essuya un tir meurtrier en s’approchant de son objectif et parvint à grand peine à atterrir en rase campagne. Il connut alors toute une série d’aventures. Son premier souci en sortant indemne de son avion fut de se procurer un chapeau pour compléter sa tenue composée de sa veste de cuir. Ce chapeau devait, selon lui, suffire amplement pour passer inaperçu.

       Un fermier rencontré consentit à se séparer de son couvre-chef et Whitney s’en alla, tout confiant, passer la nuit dans une meule de foin d’une grange. Bien installé, quelle ne fut pas sa surprise d’entendre, un peu plus tard, des soldats allemands rentrer dans la grange et se coucher à proximité de lui ! Réveillé le premier, le pilote contempla ses ennemis qui dormaient encore, épars dans la paille. Whitney s’esquiva promptement et rejoignit la gare la plus proche pour s’embarquer dans un train pour Paris.

       Il avait l’intention de trouver là refuge à l’ambassade américaine mais un écriteau sur la porte mentionnait que l’ambassade était fermée et que les requêtes devaient être adressées à l’ambassade des Etats-Unis de Berlin. Néanmoins, un battant de la porte s’ouvrit, ce qui permit au pilote de demander de l’aide au fonctionnaire qui lui avait ouvert. Ce dernier lui demanda de s’éloigner le plus rapidement possible car l’ambassade était surveillée et de communiquer par téléphone. C’est ce que fit Straight dans le premier café rencontré.

       Quelques instants après son coup de téléphone, on vint lui remettre une enveloppe contenant dix mille francs.

       Straight décida alors de rejoindre, à Chenonceau, la Loire qui marquait à cet endroit à la ligne de démarcation. Sportif, il n’eut aucun mal à franchit à la nage le fleuve, regagna une gare et s’embarqua dans le premier train pour le sud. Entre Pau et la frontière, il y eut un contrôle sévère des pièces d’identité. Straight ne possédait pas de carte d’identité, mais s’en sortit par de longues explications exprimées dans un excellent français. Straight préféra néanmoins, par sécurité, descendre du train à la gare suivante. Il se réfugia alors dans un petit café où il commanda un repas copieux. La méfiance de la patronne fut éveillée et, quelques instants après, trois gendarmes vinrent l’arrêter. Incarcéré à Saint-Hippolyte-du-fort, Straight était à peine là emprisonné de quelques jours qu’il tenta de s’évader mais sans succès. C’est le docteur Rodocanachi qui le sauva. Nous avons vu plus haut que ce médecin faisait partie du réseau d’évasion Garrow et que c’est chez lui, à Marseille, que Pat O’Leary avait d’abord été accueilli. Le docteur faisait partie à ce moment d’une commission médicale déterminant l’aptitude des prisonniers de guerre à reprendre les armes. Ceux qui étaient déclarés inaptes étaient rapatriés car jugés inoffensifs. Le bon docteur (il fut arrêté plus tard et périt hélas en Allemagne) trouva chez le pilote des tympans en très mauvais état et un dos très mal arrangé. Whitney Straight fut ainsi convié à un convoi de rapatriement vers l’Espagne.

       Malheureusement à Perpignan, le gouvernement de Vichy, par représailles d’un bombardement, décida de retenir les Britanniques qui furent placés en surveillance dans l’hôpital Pasteur de Nice. Pat O’Leary alerté, prit contact avec son collaborateur Francis Blanchain qui trouva en une infirmière de l’hôpital, Nicole Brugère, une complice idéale pour libérer le pilote. On fit parvenir à l’infirmière de puissants somnifères qu’elle remis à Straight. Celui-ci les versa dans les verres de ses gardiens avec qui il jouait aux cartes. Les gardiens commencèrent à somnoler. Straight et l’Anglais qui partageait sa chambre, après avoir rapidement revêtu les vêtements civils que leur avait amenés l’infirmière, s’élancèrent et s’échappèrent de la chambre après avoir forcé la serrure. Accueilli à l’extérieur par des membres du réseau qui leur fournirent de nouvelles identités, Straight et son compagnon de chambre furent cachés dans un appartement de Juan-les-Pins pendant trois semaines. Enfin, un soir de septembre 1942, les deux évadés furent embarqués sur un navire venus spécialement de Gibraltar pour les rapatrier.

Yan Garrow est fait prisonnier

       Le réseau connut cependant un échec en perdant un des pilotes confiés à Paul Cole. Pat O’Leary ressentit de la méfiance pour cet homme et enquêta sur lui. Pour se faire, il procéda à des interrogatoires dans le nord où il opérait. Il s’enquit de sa réputation chez tous les membres du réseau qui avait eu affaire à lui et revint à Marseille avec la conviction que cet homme était un traitre. Dès son arrivée, en octobre 1941 on l’avertit que Yan Garrow venait de se faire arrêter et interné à Mauzac (Dordogne).

Albert Guérisse succède à Yan Garrow

       Pat fit amener Paul Cole près de lui. Il disposait avec lui de deux hommes de confiance. Les trois hommes interrogèrent Cole mais rien ne prouvait avec certitude la trahison de l’intéressé. Pat décida alors de l’enfermer dans la salle de bain, le temps de réfléchir au sort qu’il devait lui réserver. Mais Cole s’échappa par la fenêtre et ne fut pas rattrapé. Pat O’Leary entrepris alors de voyager pour prévenir tous les membres du réseau de la dangerosité du traitre. C’est lors de cette mission qu’il poussa une pointe vers la Belgique et qu’il put revoir, le temps d’une soirée, ses parents qui devaient être tranquillisés sur son sort.

       Malheureusement cela n’empêcha pas l’arrestation de l’abbé Carpentier et de deux autres agents. Pat repartit une nouvelle fois vers la France occupée pour alarmer à nouveau le réseau, combler les vides et resserrer les mailles de son organisation. Il s’établit ensuite quelques temps à Paris pour y  renforcer son réseau, cela avec l’aide de son ami Jean de la Olla.  A nouveau, le réseau connut un déboire important quand un déserteur allemand demanda la collaboration du réseau pour se mettre à l’abri. Pat décida qu’il fallait l’aider malgré sa nationalité. Malheureusement, le déserteur et son passeur furent malheureusement arrêtés à Nevers. Il s’en suivit l’arrestation de six membres du secteur de Calais !

Pat O’Leary se rend à Gibraltar

       Début 1942, Pat à son tour, passa les Pyrénées et se rendit à Gibraltar. Pour passer la frontière, il se cacha dans la malle fermée à clé se trouvant dans le coffre d’une grosse voiture. Dans le centre de Gibraltar, il fut reçu par « Colle de poisson » le chef du M.I.9. Pat venait demander d’urgence qu’on lui fournisse un opérateur-radio muni de son matériel. Trois semaines plus tard, Jimmy Langley arriva par avion d’Angleterre. Cet officier amputé de l’avant-bras gauche lors des premiers combats, désirait en savoir plus sur le réseau et lui amenait aussi l’opérateur-radio promis, un Belge du nom de Ferrière ainsi que son matériel. Ferrière et Pat furent ensuite reconduits par bateau en France sur une plage proche de Canet. Malheureusement Ferrière ne convenait pas, il était arrivé en France uniquement pour se rapprocher de sa femme qui y était réfugiée et tremblait de peur continuellement. Pat s’arrangea pour renvoyer en Angleterre la mauvaise recrue accompagnée de sa femme. Finalement un nouvel opérateur radio fut trouvé sur place et « Roger » établit alors la première liaison radio avec Londres. Un nouvel arrivant de Londres survint aussi en renfort comme opérateur radio, il s’agissait du pilote borgne, le belge Alex Nitelet que le réseau avait fait échapper auparavant. Alex Nitelet, déclaré inapte, avait voulu continuer le combat avec celui qui l’avait sauvé des griffes de l’ennemi. Il allait effectivement rendre de nombreux services au réseau avant d’être remplacé par un autre opérateur radio, le Tom Groome, lui aussi Belge.

Pat aux prises avec un agent ennemi

       Décidément Pat n’arrêtait jamais. Un jour, un jeune homme qui disait s’appeler François Dulais déclara détenir des renseignements capitaux pour le réseau. Il s’agissait en fait d’un agent allemand. Pat partit avec lui « en mission » dans la montagne. Là, il fut confronté à de rudes maquisards espagnols qui confirmèrent qu’il était un traitre. Pat voulait user de clémence mais il pensa aux dégâts qu’avait causés précédemment Paul Cole et il revit en pensée les corps torturés de l’abbé Carpentier. Il permit finalement aux rudes maquisards espagnols d’éliminer le traitre.

Le réseau cache et évacue quarante hommes en une fois

       Roger, l’opérateur-radio fut arrêté mais cela n’empêcha pas le réseau d’effectuer sa plus grande opération, l’évacuation de près d’une quarantaine de personnes dans six embarcations par mer. Parmi eux, le « squadron-leader » Frederick Higginson et quatre de ses comparses, heureux d’avoir réussi leur évasion du fort de la Revère et qui trouvèrent un hébergement dans les appartements de Louis Nouveau et du docteur Rodocanachi.



Frederick Higginson

       Parmi eux aussi, 34 sous-officiers de la R.A.F. échappés aussi du même fort après avoir descellé des pierres d’une paroi qui les séparait de la partie inoccupée du fort. Il fallut organiser une extraordinaire maintenance pour nourrir et cacher tous ces hommes jusqu’au jour où les colis furent convoyés jusqu’à Canet-Plage, dans une villa, pour y attendre les bateaux de la délivrance ! Ceux-ci apparurent enfin le 12 septembre 1942.

Pat o’Leary, à la recherche d’argent, se rend en Suisse au Consulat d’Angleterre

       Pat demanda à Louis Nouveau d’assumer son intérim et pris le train pour Lyon. Là, le consul d’Amérique lui indiqua la manière de rejoindre la Suisse en contactant le curé de Saint-Julien à la frontière. Ce qui fut fait. Le curé lui indiqua une brèche dans le réseau de fils barbelés. Pat s’y glissa mais une volée de balles imprévues transforma son escapade en parcours de combattant. Sain et sauf, parvenu en Suisse, il se rendit alors au consulat britannique où il rencontra Monsieur Farell qui lui promit d’envoyer, à Lyon, par un agent, la somme d’un million. On ne sait pas ce qu’il advint de cette fortune mais elle ne parvint jamais à  Lyon !



Ligne Pat O’Leary

Pat O’Leary délivre Garrow de sa prison, puis Gaston Nègre

       En février 1942, Albert Guérisse, alias Pat O’Leary, alias Adolphe Cartier parvient à faire évader Yan Garrow du camp de Meauzac. Il fallut trouver un agent pénitentiaire à la fibre patriotique puis aller chez lui pour le convaincre de collaborer à l’évasion. L’agent pénitentiaire se dénommait « Pierre ». Pat O’Leary se rendit à son domicile à Sarlat pour régler les détails de l’évasion. Pat fit ensuite travailler son tailleur de Toulouse pendant une nuit entière afin de confectionner en urgence un uniforme de gendarme. Les autorités de Vichy venaient en effet de remplacer les gardiens des portes de la prison par des pandores et cela, juste quelques heures avant le moment prévu pour l’évasion… On rajouta à l’uniforme de faux papiers et un revolver de service. Grâce à cet uniforme que Pierre lui fait parvenir, Garrow put, accompagné de Pierre, sortir sans encombre de la prison. L’évadé fut ensuite caché par Marie-Louise Dissard à Toulouse avant d’être convoyé en Espagne.

L’évasion de Gaston Nègre ; Pat mène des fugitifs au-delà des Pyrénées sans passeur

       Un autre compagnon de Pat, Gaston Nègre, se trouvait incarcéré à Castres. Cette fois c’est Marie-Louise Dissart qui trouva un gardien, Robert, qui voulait rejoindre l’Angleterre. Ce dernier organisa une fête d’anniversaire pendant laquelle il versa un somnifère préparé par le Dr Rodocanachi dans les verres de ses confrères. Les trois compères s’endormirent en jouant aux cartes et Robert s’en alla ouvrir la cellule de Gaston Nègre, profitant au passage de libérer quelques autres soldats et pilotes. Dehors, un camion de déménagement rempli à ras bord les attendait. Huit hommes se faufilèrent dans une grande boite à jouets. Un peu plus loin, le camion se fit arrêter et contrôler. Un gendarme vérifia le contenu du camion, déplaça une table, et des chaises mais ce fut tout. Gaston fut mis à l’abri à Paris tandis que les autres fugitifs firent partie d’un convoi de 24 personnes conduit par Pat vers l’Espagne.

       Repérés sur un train, les hommes sautèrent tous hors de celui-ci lorsque le train ralenti à l’approche de la gare de Banyuls. Six hommes manquaient à l’appel mais les rescapés se remirent en marche pour le lieu de rendez-vous avec le passeur. Celui-ci ne vint pas. Finalement après 24 heures d’attente, par petits groupes les fugitifs rejoignirent Canet. Parmi les manquants se trouvaient Robert qui avait aidé à l’évasion de Gaston Nègre. Il devait mourir plus tard sous la torture !  A Canet, Pat décida de franchir les Pyrénées sans passeur.

       Sa traversée, dans la neige et le blizzard, dura trois fois plus que d’habitude mais réussit !

Une série d’arrestations suite à la traitrise d’un nouveau traitre : Roger le Neveu

       En janvier 1943, le belge Tom Groome qui envoyait des messages radio à Paris pour le réseau est surpris dans une chambre d’hôtel par des membres de la Gestapo. Il parvint à sauter par la fenêtre et par miracle survécut à sa chute. Il se cacha dans une proche maison mais fut découvert. Il fut ensuite contraint par les Allemands de continuer à envoyer des messages vers Londres. Mais Tom Groome avait signalé qu’un de ses messages encodé sans aucune faute, signifiait qu’il était trahi. Grâce à cela Tom Groome poursuivit ce jeu de dupes pendant plusieurs semaines puis la Gestapo se lassa et Tom fut déporté en Allemagne.

       Une deuxième alerte survint quand Jean de la Olla, escortant cinq « colis », fut interpellé par un contrôle douanier. Il put s’échapper de justesse tandis que les « colis » étaient malheureusement pris. Une troisième alerte concernait Roger Le Neveu, nouvelle recrue du réseau. Cet ancien légionnaire accomplit sa première mission parfaitement mais lors de la seconde il revint affolé, ses colis australiens arrêtés ! Une troisième mission fut confiée à Roger Le Neveu : convoyer cinq pilotes américains à la gare d’Austerlitz et les remettre à Louis Nouveau. Mais à la gare, on exigea des voyageurs une fiche d’admission délivrée à un guichet spécial. Louis et les américains furent surpris de la rapidité avec laquelle Roger Le Neveu parvint, en dix minutes, à se faire délivrer les fiches. Les fugitifs purent alors grimper dans leur train mais ils eurent durant leur voyage une seconde surprise, celle de voir la police pénétrer dans leur wagon et les arrêter ! 

       Roger Le Neveu n’arrêta pas là son action néfaste !

       Après l’arrestation de Louis Nouveau vinrent celle d’Alex Wattelebed (nommé par ses amis « Jacques »), de Jean de la Olla et de Norbert Fillerin le 5 mars 1943. Ces hommes furent torturés. Jean de la Olla, à Fresnes, fut fouetté et devait garder des cicatrices pendant sept mois. Il fut interrogé de nombreuses fois, notamment après des douches d’eau glacées ou avec une chaîne autour du cou à laquelle on tirait dans plusieurs directions. Les yeux dévorés de fièvre, amaigri, Jean de la Olla résista jour après jour à ces séances de torture. Il récitait l’Ave Maria sous les coups et entre deux tortures s’agenouillait pour prier. Un matin on sortit les hommes méconnaissables pour les confronter entre eux. Mais cette confrontation ne mena à rien. Alors une dernière séance de torture commença à 8 heures du soir. Alex tint jusque 3 heures du matin, Norbert jusqu’à 5 heures et Jean jusque dix heures. Les bourreaux eux aussi étaient à bout. Nous vous donnons une dernière chance dirent-ils : « Parlez ou on vous tue ». Tous les trois refusèrent de parler. Le 22/01/1944, ils furent déportés. Ils iront à Flossenburg puis au Kommando de Hradisshko au sud de Prague. Ils seront libérés le dernier jour : le 08 Mai 1945.

L’arrestation de Pat O’Leary

       Pat O’Leary ne connaissait pas encore l’arrestation de ses trois agents opérant dans le nord quand son ami Paul Ulmann lui demanda d’assister à un rendez-vous demandé par Roger Le Neveu dans un bar de Toulouse. Ce dernier était soit disant descendu du nord pour révéler au chef des informations sur l’arrestation de Louis Nouveau. A peine assis à la table où s’était installé Roger, deux Allemands se ruèrent sur eux et les arrêtèrent. Ils furent interrogés au Q.G. de la Gestapo. Contre le mur, les mains sur la tête, Pat aperçut par une porte entrouverte, Roger Le Neveu, assis dans la pièce voisine et bavardant et fumant avec des Allemands. Il ne faisait plus aucun doute sur la traitrise de Roger. Pat avoua alors son statut d’officier britannique ce qui n’empêchèrent pas les policiers de le rouer de coups. L’un d’entre eux maintenait ses bras en arrière tandis que le second frappait le visage… Pour finir il s’écroula et se retrouva dans une cellule où 20 prisonniers misérables gisaient. Paul Ulmann était près de lui. Le pauvre homme s’attendait au pire parce qu’il était juif. Les deux hommes échangèrent quelques phrases puis sombrèrent dans un sommeil coupé de cauchemars. Le matin, l’interrogatoire recommença pour Pat qui, habilement aiguilla les policiers sur un certain monsieur Benoit, personnage issu de son imagination et qu’il devait normalement rencontrer au buffet du bar de la Frégate. Les Allemands y enquêtèrent mais revinrent bredouille et les interrogatoires musclés reprirent pour Pat. Lors de l’un d’entre eux, il s’évanouit et quand il reprit connaissance, il s’aperçut grelottant, ligoté dans… un frigo ! Il se prépara à mourir et crut devenir fou. L’agonie fut interrompue brutalement ; on vint au dernier moment le sortir pour le mettre dans un bureau à côté d’un radiateur brûlant. On le força à boire du cognac mais Pat ne révéla rien de nouveau à ses bourreaux. Alors, à nouveau, ces derniers remirent Pat dans le réfrigérateur pour le préparer à une nouvelle séance d’interrogatoire. Celle-ci se révéla toujours sans résultats, Pat se retrouva, cette fois seul, dans une cellule sur une poignée de paille. Le lendemain, on le transféra à Marseille au Siège de la Gestapo où il fut interrogé encore durant trois jours. Pat expliqua longuement que l’organisation était si cloisonnée qu’il ne connaissait pas l’identité de ses compagnons du réseau. Pat expliqua qu’il y avait un agent pour la radio, un autre pour les finances, un autre responsables des guides espagnols mais qu’il était impossible de les rencontrer à nouveau car ils connaissaient son arrestation. En effet, son absence à 3 rendez-vous consécutifs devait avoir alerté tous les agents.

       Finalement, Pat, en sa qualité d’officier britannique, fut remis dans les mains de l’Abwehr aux mains plus douces que celles de la Gestapo qui l’enferma pour plusieurs mois dans la prison de Fresnes. Pat, dans cette prison, put communiquer par les conduits d’air avec plusieurs autres notamment avec Pierre d’Harcourt et avec l’aviateur américain Ball. Un jour, il aperçut, par un petit trou creusé qu’il avait patiemment creusé avec un clou dans l’encadrement de sa fenêtre, son très grand ami et collaborateur Louis Nouveau passant dans le couloir. Il fallait qu’il rentre en communication avec lui car Pat avait appris que l’épouse de Louis, de son nom de guerre « Marquisette », avait pu rejoindre Londres. Pat guetta alors toutes les apparitions de Louis devant sa cellule et un jour Louis surgit. Pat posa sa bouche contre le trou et cria. « Marquisette est bien arrivée à Londres ». On imagine aisément la joie de Louis Nouveau de savoir sa femme en sécurité.

       Après de longues semaines, Pat est transféré en Allemagne à Sarrebruck. Il y est battu par un SS Heinrich Hornetz pour avoir pris la défense d’un Anglais. Une consolation il retrouve là son compatriote « radio » Tom Groome. Monthausen, Natzweiler puis Dachau suivirent.

       Epouvantables moments dont nous reparlerons plus loin !

Marie-Louise Dissard succède à Pat O’Leary sous le nom de « Françoise »

       En France, une femme extraordinaire reprend la direction du réseau d’évasion. Il s’agit de Marie Louise Disssard née à Cahors. Cette femme est une véritable artiste dans le domaine de la confection. Elle a travaillé longtemps comme professeur de couture tout en essayant de convaincre les jeunes femmes de leurs talents qui égalent ceux des hommes. Cela ne l’empêche pas d’avoir un côté léger puisqu’elle tiendra un magasin de lingerie à Toulouse qu’elle nommera  « A la poupée moderne ». Elle a 59 ans en 1940. Avec le pseudonyme de « Victoire », elle participe rapidement au réseau Bertaux, l’un des premiers groupes de résistance toulousains. Elle diffuse des tracts clandestins, récolte des renseignements pour les résistants. Mais la police française démantèle le réseau en décembre 1941 et tous ses membres sont enfermés à la prison militaire de Furgole.

        « Victoire » se débrouille alors pour ravitailler toutes les semaines ses camarades emprisonnés. Au printemps 1942 elle rencontre Pat O’Leary qui recherche des contacts sûrs dans le Sud-ouest de la France. Il comprend rapidement la valeur de Marie-Louise Dissard pour ses qualités d’organisatrice et lui accorde toute sa confiance. En juin 1942, sous le pseudonyme de «Françoise », elle organise les transits des pilotes de la R.A.F. par Toulouse. De jour comme de nuit, infatigable, elle s’occupe de la réception, de l’hébergement, du camouflage (c’était une spécialiste du déguisement) et du convoyage des aviateurs.

       Quand Pat O’ Leary est arrêté « Françoise » rejoint sa ville natale, Cahors, puis déterminée à reprendre son action patriotique, retourne à Toulouse. Le War Office, persuadé que cette filière d’évasion est anéantie a suspendu tous les financements et toutes les opérations. « Françoise » se rend alors en Suisse pour convaincre l’ambassadeur britannique, de  lui permettre de réactiver le réseau.



Marie-Louise Dissard décorée en 1947 « officier de l’Ordre de l’Empire Britannique »

       Convaincus, les Anglais lui donnent les moyens nécessaires à la remise en place du réseau Pat O’Leary qui devint le « Réseau Françoise » en mai 1943. L’on doit donc à Marie-Louise Dissard la survie d’un réseau d’évasion très précieux. Surveillée par la Gestapo, « Françoise » vivra cachée dans des greniers, des garages ou des caves d’où elle dirige les actions. Ancienne couturière, elle use de tous les déguisements pour passer inaperçue. C’est un jour en veuve éplorée, en paysanne, ou en femme du monde qu’elle accompagnera ses « colis » à travers les rues de Toulouse jusqu’aux quais de la gare Matabiau et même jusqu’en Espagne. A l’insu de Londres, elle utilise aussi les filières d’évasion pour les résistants français à l’insu des Anglais.



Pat O’Leary devient Président du Comité international des Prisonniers de Dachau

       Transféré à Mauthausen, Pat souffre de la Gale et est hospitalisé au revier (infirmerie) du camp. Il est effaré de voir les soins qui y sont donnés par des médecins polonais qui ne disposaient que de bandages en papier et des comprimés d’aspirine. Un Kapo allemand y faisait régner l’ordre. Cet homme apparemment paisible pouvait frapper à mort un malade sans perdre un instant le contrôle de ses nerfs. Il exerçait surtout ses ravages sur les détenus exténués qui souillaient leurs paillasses. Il les empoignait une ou deux fois par jour pour les mener dehors et les asperger d’eau froide tout en les étrillant à la brosse. Privés de nourriture, glacés, ces incontinents mouraient ordinairement avant le sixième jour. Pat appris là aussi comment on faisait mourir les prisonniers trop âgés pour travailler. On les hospitalisait au revier et ils recevaient une injection mortelle d’huile de moteur. A sa sortie du revier, Pat travailla dans les carrières comme un forçat. Il se refroidit et souffrit d’une pneumonie qu’il cacha de nombreux jours pour ne pas retourner au revier. Avec seulement 40 kilos et 40° de température, il avançait, taillait, portait et survécut à sa pneumonie, animé d’une invincible force. C’est à Monthausen que Pat apprit que le traitre Paul Cole avait trouvé refuge à Berlin.

       Vers la fin de septembre 44, Pat quitta Mauthausen pour Natzweiler. Tom Groome l’accompagnait et souffrait de la typhoïde. Il rencontra dans le camp un médecin belge qu’il  avait côtoyé durant ses études et nommé Boogaerts. Le Dr Boogaerts transféra Tom à l’infirmerie et pris Pat comme infirmier. Pat veilla sur Tom et le soutient à l’aide de soupe de lait en veillant à ce qu’il ne mange aucun aliment solide afin de faire reposer les intestins. Au printemps, l’ordre arriva de quitter Natzweiller pour Dachau. Pendant 24 heures, les détenus voyagèrent dans des wagons où l’air manquait et où il fallait veiller à empêcher tout mouvement de panique parmi les détenus.

       A Dachau, PatO’Leary continua à cacher sa qualité de médecin mais se dévoue comme infirmier dans l’infirmerie du camp ainsi que Tom Groome et John Hopper. Ce dernier était ingénieur et habitait Paris. Avec une froide détermination, il avait décidé de descendre chaque homme de la Gestapo qu’il rencontrait. Il disposait de deux révolvers et tirait remarquablement bien des deux mains. Un jour les Allemands mirent sa tête à prix. Alors qu’il était assis dans un café accompagné de sa femme, il fut reconnu. Hopper saisit ses armes et fit feu mais les policiers étaient en nombre. Hopper vit sa compagne grièvement blessée et décida de … l’achever pour lui éviter les tortures. Comment les Allemands l’avaient-ils épargné ?  Pat se le demandait.

       Pat rencontrera aussi dans l’infirmerie Arthur Haulot. Tous ces hommes durent faire face à une terrible épidémie de typhus. Le camp ressemblait à un camp de pestiférés. Pendant un mois, on releva jusqu’à 50 décès par jour puis petit à petit, le nombre de décès diminua.



Une vue intérieure d’une chambre de block en 1945

       Dans l’immense camp (4)  qui comptait, à la date du 26 avril 1945, environ trente mille détenus (à ce nombre, il faut ajouter les prisonniers des Kommandos extérieurs au nombre de 37.000), des comités d’entraide se sont créés par nationalité. Ces comités vont se fédérer en un « Comité international de Dachau » (International Prisoner Committe). Son rôle est important. Il faut en effet à tout prix que la libération de trente mille prisonniers ne se passe pas dans l’anarchie et selon la loi du plus fort. Les rapatriements, les soins médicaux, la logistique pour approvisionner les ex-prisonniers doivent être soigneusement organisés. Pat O’Leary, dont la vraie nationalité est toujours cachée, montre ici une nouvelle fois son charisme, son talent de meneur d’hommes car il devient le président du comité International. Evidemment, on le croit Canadien, officier britannique. Arthur Haulot est nommé quant à lui  vice-président (2). Rétrospectivement, dans ce camp d’horreur, quel  honneur pour les Belges d’avoir pu accéder à ces fonctions de « sages ». Grâce au « Comité International » créé par les prisonniers de Dachau, de nombreuses vies seront sauvées. Dans le livre du général Paul Berben (1) consacré à Dachau, quelques informations sont données quant à l’action de ce comité. Nous y apprenons que ce sont les communistes allemands, les premiers occupants du camp, qui formèrent le premier noyau de résistance. Peu à peu se formèrent des groupes nationaux qui essayèrent de se coordonner entre eux. C’est ainsi que par des membres de la direction du groupe allemand, fut établie une liaison avec les groupes soviétiques et yougoslaves en 1942.

       L’aide aux camarades constitua la forme la plus tangible de la résistance. En 1940, le groupe allemand, via les travailleurs de l’ « Effecktenkammer »  détourna des milliers de Reichmark pour aider de nombreux invalides qui arrivaient des camps de Flossenburg, Sachenhausen, Mauthausen et Nuengamme.  Avec cet argent, ils purent faire quelques achats à la cantine pour améliorer leur situation. Les SS eurent vent de l’affaire et les membres de l’ « Effectenkammer » furent mis au bunker où ils subirent le châtiment du « Bock » et du « Pfahl ». Le « Bock » consistait à recevoir 25 ou 30 coups de nerfs de bœuf sur une table concave. Le prisonnier devait lui-même compter à haute voix les coups ; s’il n’y parvenait pas, ou se trompait, on recommençait à zéro. Quant au « Pfahl », la peine du poteau, elle  consistait à être suspendu par les poignets à une chaîne fixée à un poteau de 2M50 de haut. Le prisonnier restait suspendu pendant une heure ou deux sans aucun appui. La chute provoquée à la fin de la peine provoquait des ruptures d’articulations et les hommes ne pouvaient plus se servir de leurs bras pendant des semaines.

       L’aide de l’extérieur était difficile à obtenir mais le Comité international obtenait parfois certains résultats. A mentionner l’intervention du curé-doyen de Munich, Dr Emil Muhler qui, avec l’appui du cardinal Faulhaber et du curé-doyen de Dachau, Pflanzelt, collecta de l’argent qui fut introduit par des ouvriers civils travaillant pour des entreprises occupées à des travaux au camp. Le comité veilla aussi à défendre la communauté contre les dénonciateurs. Ainsi il fut interdit de parler au nommé Baldes. Les SS réagirent en enfermant de nombreux détenus mais ces représailles restèrent sans effets. Un travail très dangereux était aussi accompli par nombre de capos dans les kommandos, par des secrétaires et des infirmiers pour arracher des détenus des griffes de la Gestapo en les cachant au « Revier » et en les transférant ensuite dans des kommandos appropriés. D’audacieuses substitutions furent faites pour sauver des hommes en danger en les faisant passer pour morts. L’idée fut émise par Pat. Le premier sauvé fut un russe le N° 14.307. Condamné à être fusillé, on échangea son identité avec un moribond. Haulot suggéra de généraliser la formule. D’autre part, durant une nuit, trois hommes du comité acculèrent le « Lagerschreiber » - détenu faisant office de secrétaire du camp. Dans son bureau étaient centralisés tous les renseignements au sujet des détenus du camp et des kommandos extérieurs. Etait assisté par plusieurs détenus secrétaires, interprètes et estafettes rapportant les documents au Rapportfuhrer, le responsable allemand du rapport journalier - à suspendre l’organisation des convois de prisonniers devant sortir de Dachau pour y être mitraillés selon les nouveaux ordres de Berlin. Sous peine d’un terrible châtiment à la délivrance du camp par les alliés, cet homme accepta. Grâce à cela, plus de 5.000 déportés furent sauvés.

       Pour entretenir le moral, le comité international organisait des activités culturelles, sportives. La musique et le chant rendirent à maint détenu un peu de courage et d’espoir.

       Le général Paul Berben dans son livre (1) raconte un évènement très parlant à propos de cette résistance :

       Lors de la fameuse exécution des 92 officiers soviétiques se plaça un incident témoignant de l'esprit de solidarité régnant dans le camp. On avait appris le 3 septembre 1944 que cette exécution devait avoir lieu le lendemain. Le comité décida qu'aucun kommando de travail ne sortirait ce jour-là. Au matin du 4 septembre, au signal « Formez les kommandos de travail » personne ne bougea. Ceci était nouveau pour les SS et le signal fut répété, mais sans résultat. Le « Schutzhaftlaqerführer » menaça de faire ouvrir le feu des mitrailleuses des tours de garde. Entretemps deux compagnies de SS étaient arrivées. Quelque 22.000 détenus se trouvaient rassemblés et un véritable massacre était inévitable. Alors le lieutenant-colonel Tarasow, un des condamnés, invita les détenus à se rendre au travail : « Sortez, camarades. cria-t-il, nous mourrons comme nous avons vécu, en luttant pour l'URSS ! Adieu, camarades, sortez ». Ses camarades et lui-même allèrent à la mort afin que des milliers d’autres aient la vie sauve. (…)

       Le sabotage constituait une des activités primordiales de la résistance dans le camp. Une action importante de cette nature fut entreprise à l’occasion de la construction du crématoire, dénommé par les SS « Baracke X ». Le kommando qui devait faire ce travail fut invité par la direction politique clandestine à le saboter dès le premier coup de pelle. II fallait empêcher l'utilisation de main-d'œuvre qualifiée, retarder la livraison des matériaux et exploiter les divergences qu'on savait exister entre le kommando de construction SS et la direction SS du camp. Le kommando des détenus, dont le capo était Karl Wagner, de Stuttgart, parvint à faire trainer le travail de façon telle que le délai d'achèvement, fixé à trois mois, ne fut pas respecté. (Paul Berben, Dachau page 201)

       Il en fut de même pour la chambre à gaz qui ne fut jamais prête parce que le kommando « Montages et réparations » parvint à remplacer trois caisses de matériel en bronze nécessaire à l’installation. Au sein des groupes nationaux, toutes les occasions étaient bonnes pour prouver par des actions collectives, l’esprit de résistance. Le 14 juillet 44, au rassemblement, les Français débouchèrent des blocks en rangs martiaux.

       Lorsqu’il apparut que la libération des camps était proche, les comités constituèrent des groupes de combat et des groupes de sécurité. Il fallait que le comité international fut en mesure de tenir le camp fermement et en même temps qu’il puisse s’opposer à toute action des SS.

       Le 28 avril 1945, Les SS préparaient leur départ. 15 hommes de nationalités réunis au block 24 discutèrent alors de tous les problèmes du camp et décidèrent de se constituer officiellement  Comité International. Ce comité eut bien du travail lors de la libération de leur camp, le lendemain.

        Dès le lendemain de la libération, le 30 avril, le Comité International des détenus tint sa première séance (3) en présence du commandant américain. La protection extérieure du camp était assurée par les Américains, l'autorité supérieure du camp étant exercée par le Comité international sous la présidence du major Pat 0’Leary avec comme vice-président le général Michailow (URSS) et Arthur Haulot (Belgique). Le doyen du camp, Oskar Müller, et Jan Domagala étaient les organes d’exécutions. Immédiatement furent élus les membres des commissions indispensables telles que celles de l'alimentation, du service de santé, de la désinfection, des questions disciplinaires. Le Comité international était le représentant de tous les groupes nationaux. Ceux-ci avaient constitué déjà avant la libération leurs directions clandestines et aussitôt celles-ci déployèrent une activité ininterrompue pour enregistrer leurs nationaux, préparer le rapatriement, établir la cause des décès, informer constamment leur groupe de tout ce qui pouvait les intéresser, etc. Chaque groupe national publia dans sa langue un bulletin donnant les renseignements les plus récents au sujet de la situation politique et militaire générale et, dans la mesure du possible, de la situation de son pays, ainsi que les mesures prises dans l'intérêt de la vie du camp.



Arthur Haulot

       On s'efforça également de procurer aux libérés des distractions variées, si nécessaires après ces années de tension nerveuse, en organisant des concerts, des manifestations sportives, des fêtes. Le Comité international décida que le 1er mai serait fêté comme « Jour de la Libération ». En 48 heures – on travailla même encore toute la nuit du 30 avril au 1er mai – une grande estrade fut fabriquée, les drapeaux nationaux hissés et le camp tout entier mis en ordre aussi bien que possible.

       Au matin de ce 1er mai 1945, « ceux de Dachau », groupés par nations, marchèrent drapeaux en tête, une dernière fois vers la place d'appel, en hommes libres cette fois, et assistèrent à une cérémonie grandiose et inoubliable. Dans l‘allégresse générale les morts n'étaient pas oubliés, et d'émouvantes cérémonies furent organisées en leur honneur. Leur nombre s'accroissait malheureusement encore : journellement des hommes mouraient encore à Dachau, dans le camp libéré. Durant le mois de mai il en succomba 2.226 et du 1er au 16 juin encore près de 200I. Le nombre des malades était très élevé : le 15 mai, il se trouvait dans les hôpitaux n° 1 et n° 2 respectivement 386 et 3.804 patients.

       Enfin, le 12 mai la quarantaine fut levée et le lendemain un premier contingent composé de Belges quitta le camp en camions. Les départs se succédèrent alors rapidement et environ un mois après la libération les opérations de rapatriement étaient achevées. Elles avaient soulevé bien des problèmes épineux, par exemple pour les groupes qui pour des raisons politiques se trouvaient dans l'impossibilité de rentrer dans leur pays et qui durent être pris en charge par d'autres nations après de laborieuses négociations. (Paul Berben, Dachau, pages 229 et 230)

       Les mois passèrent, un jour, on appela Pat à Paris pour une identification d’un cadavre à la morgue. C’était Paul Cole. A la libération, Paul Cole avait quitté Berlin pour se faufilé dans les lignes américaines où il se présenta comme agent britannique évadé d’un camp ennemi. Il réussit à se faire affecter à la section US de « recouvrement d’Art ». Il fut doté d’une automobile et conduisit les Américains d’une cachette à une autre. Après avoir servi les anglais, les Français, les Allemands, il avait trouvé des nouveaux maîtres. Il se trahit lui-même en voulant renouer avec une de ses amies d’autrefois. Peter Hope agent du M.I.5 vint l’arrêter au QG de l’armée américaine. Il fut enfermé au « Cherche-midi » mais réussit après plusieurs semaines à s’échapper. Un mois plus tard, un garçon de café dénonça à la police un homme au comportement bizarre qui vivait dans son établissement. La police consentit à une visite dans la chambre de l’intéressé et fut reçue par un homme qui n’hésita pas à sortir son révolver et à tirer sur un des deux policiers. Son compagnon abattit Cole de deux balles. Plus de trente hommes du réseau Pat O’Leary avaient succombé à cause de cet homme.

       Quant à Roger Le Neveu, à en croire Gaston Nègre, qui le tenait de maquisards, il aurait été pris et tué  par ces derniers.

Albert Guérisse, à nouveau volontaire, cette fois pour servir en Corée

       Le 28 avril, le camp est libéré. Revenu à Londres, Albert Guérisse est décoré de la George Cross, la plus haute distinction britannique après la Victoria Cross. Rentré en Belgique, Guérisse reprend du service dans l’armée belge et est affecté à l’hôpital militaire de Bruxelles. Quand la Guerre de Corée éclate, il est major-médecin dans son régiment du 1er Lanciers à Spa. La Belgique envoie des volontaires en Corée et Albert les rejoint en 1951.

       Pendant 13 mois, il assurera le commandement du service médical pour les Belges en s’illustrant en allant même chercher au péril de sa vie un soldat blessé entre les lignes. Rentré en Belgique, il sera nommé Général-Médecin et deviendra le patron du Service de Santé de l’armée jusqu’en 1970. Le Roi l’anoblit « comte »  en 1986. Le nombre de ses décorations est impressionnant. Il fut le Belge le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale (35 décorations).  Le vaillant docteur mourut au printemps 1989. Il avait, par modestie, demandé de n’avertir la presse de son décès qu’après son enterrement car  il ne souhaitait pas trop de bruit autour d’un homme « qui avait simplement fait son devoir ».



La maison de la famille Guérisse à Spa

Notes :

       1) Paul Berben, Dachau, 1935-1945, L’histoire officielle, 325 pages, édités en 1976 par le Comité International de Dachau, 65, rue de Haerne, 1040 Bruxelles.



       2) Composition du Comité International de Dachau :



        3) Compte-rendu de la première séance du Comité international de Dachau du 30 avril 1945, de 20 h. 30 à 22 h. 30

1. La séance eut lieu en présence du Commandant américain. Lt Colonel Fellenz.
2. Le commandant américain a transmis au Président du Comité international des détenus. Le Lieutenant-Commander RN Patrick O'Leary, les pleins pouvoirs sur le camp. La protection extérieure a été reprise par les troupes américaines.
3. Dans 2-3 jours l'administration américaine assurera la sécurité et le ravitaillement du camp.
4. Les organes d'exécution dans le camp sont le doyen de camp Oskar Müller et le secrétaire du camp Domagala.
5. Le ravitaillement en vivres est assuré. Les rations journalières seront augmentées.
6. La police du camp est jusqu'à nouvel ordre subordonnée au camarade Gustav Eberle qui travaille en collaboration avec le doyen du camp.
7. Personne n'est autorisé à quitter le camp.
8. Les armes éventuellement existantes doivent être aussitôt remises au Jourhaus.
9. Les actes arbitraires, vengeances personnelles etc. seront aussitôt punis par les moyens les plus sévères.
10. Les Kommandos pour la vie du camp recevront un laissez-passer pour sortir du camp.
11. Les anciens SS détenus dans le camp seront enregistrés par le secrétariat du camp et mis plus tard à la disposition des autorités militaires américaines comme prisonniers de guerre.
12. Les anciens détenus Meanssarian et Wernicke ont été appréhendés et fusillés par ordre du Commandant américain.
13. Le Comité international des détenus décidera dans chaque cas au sujet de l'arrestation de divers autres éléments dans le camp. Les actions individuelles sont Interdites de la façon la plus formelle.
14. Comme commissions provisoires ont été désignées :
a. Alimentation : jean Marcinkowski
b. Désinfection et Service de Santé : FrantisekBlaha
c. Questions disciplinaires ; Oskar Juranik
15. Des communications ultérieures seront faites par écrit ou par haut-parleur de façon continue.
Ce compte rendu sera communiqué dans le courant de la matinée dans les principales langues.
(Source : Paul Berben, Dachau)

4) Plan du camp de concentration de Dachau

       Le premier camp de concentration allemand fut ouvert le 22 mars 1933 dans une usine à explosifs désaffectée, située a proximité de Dachau. Adversaires politiques, Juifs, prêtres et éléments «indésirables» devaient y être isolés en tant qu'ennemis de l'état national-socialiste. En 1937, le camp prévu pour 5000 personnes s'avéra insuffisant. Les détenus furent alors utilisés à construire un camp plus vaste, terminé en 1938.



1) Le camp comprenait de part et d'autre de l'allée principale, (Lagerstrase) bordée d'arbres plantés par les détenus
2) 15 baraques d'habitation (blocks), deux infirmeries, une cantine et une baraque de travail. Chaque baraque d'habitation était subdivisée en quatre « Stuben » (chambrées), comprenant chacune une salle de séjour et un dortoir. II y avait une installation pour la toilette et les WC par deux « Stuben ». Une chambrée était destinée à 52 détenus, il y eut donc 208 détenus par baraque. Après l'expansion violente du Troisième Reich sur toute l'Europe les transports de détenus, venant des pays occupés, arrivèrent sans cesse à Dachau. Le camp était comble : jusqu'à 1600 détenus durent loger dans une seule baraque.
3) Tous les détenus devaient se présenter matin et soir – quel que soit le temps – sur la place d'appel. Si la fuite réussit à un détenu il s'en suivait un « Strafappell » (appel de punition) pour tout le monde durant au moins une nuit et une demi-journée.
4) Le « Jourhaus » constituait l'unique accès du camp. Le fronton du portail portait l'inscription suivante: « Arbeitmachtfrei » (le travail rend libre). A droite et à gauche se trouvaient les postes de garde des SS, puis les locaux officiels de l'administration du camp.
5) Dans les bâtiments de l'intendance (Wirtschaftsgebaude) – maintenant musée  – se trouvaient les cuisines, la buanderie, les entrepôts des vêtements et autres effets appartenant aux prisonniers et le fameux « bain » que les SS utilisaient pour y torturer inhumainement les détenus (poteau et fouet).
6) Tout au début, à droite de l'allée, centrale, se trouvaient les baraques du « Revier » (infirmeries). Après 1939 une effrayante augmentation des maladies et épidémies nécessita de porter de deux à treize le nombre des baraques de l'infirmerie. Au black 5 le docteur Rascher dirigeait sa section d'expériences médicales où, sur les détenus sans défense, on procédait aux expériences de réfrigération et de basse pression. A la section « malaria » le professeur Schilling inoculait le paludisme. Parmi ces expériences – à issue souvent létale – comptaient également des essais de biochimie.
(7) La morgue était constamment remplie de cadavres.
D'après les documents du service de recherches international, 31951 détenus moururent à Dachau. En outre, y furent exécutés des milliers de prisonniers non enregistrés.
8) Dans les blocks pénitentiaires les compagnies de discipline étaient isolées des blacks voisins par du fil de fer barbelé. II s'agissait là de soi-disant « récidivistes » (c'est-à-dire de détenus arrêtés pour la deuxième fois et renvoyés au camp) et de prisonniers que les SS et la Gestapo destinaient à une détention plus pénible.
9) Au black 26 se trouvaient les prêtres internés.
10) Cantine
11) Baraque de désinfection
12) Jardin potager du camp
13) Fossé garni de barbelés électrifiés, illuminé la nuit, formant obstacle et limite du camp.
14) Dès que quelqu'un pénétrait sur la bande de gazon située à huit mètres du fossé, les sentinelles SS postées sur les miradors faisaient feu sans sommation.
15) La prison (Bunker) était située derrière les bâtiments de l'intendance. Dans la cour de cette prison avaient lieu les punitions (fouet et poteau) et les exécutions.
16) La mortalité des détenus augmentant rapidement, le crématoire construit en 1940 en dehors du camp des prisonniers ne suffisait plus. Un crématoire plus vaste (baraque X) dut être bâti en 1942. Sur ordre de l'autorité administrative économique SS de Berlin on y construisit, comme dans les autres camps, une chambre à gaz camouflée en douche, mais qui ne fut pas utilisée comme prévu. Les détenus destinés à la chambre à gaz étaient transportés de Dachau au château de Hartheim, près de Linz ou dans d'autres camps. (On transporta 3166 détenus entre janvier 1942 et novembre 1944).
17) Environ 6000 prisonniers de guerre russes furent fusillés sur le champ de tir des SS.
18) Cimetière de Leitenberg. 7500 ressortissants de toutes les nations européennes décédés peu de temps avant la libération sont enterrés au Leitenberg.
19) Les corps des 1230 derniers morts du camp reposent au cimetière de la ville de Dachau (Waldfriedhof).
20) La chapelle catholique « L'Agonie du Christ » érigée en 1960.
21) Mémorial israélite, érigé en 1965
22) Temple commémoratif protestant, érigé en 1965
23) Monument international, érigé en 1968.
24) Monastère de Carmes, érigé en 1964.

Biographie sur Albert Guérisse :

1. Marcel JULLIAN. H.M.S. Fidelity, bateau mystère, Bibliothèque Amiot-Dumont, 1956.

2. Vincent BROME, préfacé par Pierre Mac Orlan de l’académie Goncourt, L’histoire de Pat O’Leary, Le Livre contemporain Amiot-Dumont, 1957 »

Dr P. Loodts

 

 



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